ParDr. Jean Andris
" HEALTH & FOOD " numéro 48,
Septembre 2001
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Il existe parmi nous des hommes réellement polyvalents. Ainsi, le Pr. Mark Eyskens, professeur d’économie à la Katholieke Universiteit Leuven et notre ancien premier ministre, est à l’origine d’une collection éditée par le Davidsfonds sur les grandes questions éthiques de notre temps. Chaque année, un volume de cette collection est publié sous l’égide des plus éminents spécialistes de notre pays dans différents domaines. C’est ainsi que dans la dernière livraison, la vingt-et-unième, on peut lire sous la plume de T. Tavernier et E Decuyper d’une part, de J. Vanderleyden d’autre part, des chapitres consacrés respectivement aux plantes et aux animaux dans notre alimentation.
Pas si bêtes, les animaux
Les conceptions sur notre relation d’êtres humains aux autres organismes vivants sont en train de se faire prendre dans un sacré tourbillon. Bien sûr, pour certains la question n’est pas nouvelle, loin de là, mais il nous semble qu’un faisceau de réflexions récentes converge aujourd’hui pour reposer à tous les questions qui dans le temps passé (mais pas si lointain) ne harcelaient que quelques inspirés.
Sans doute l’éthologie y est-elle pour quelque chose. Elle nous apprend de plus en plus qu’il y a tout au long de la chaîne évolutive des formes de comportement de plus en plus complexes, dont le nôtre est une sorte de point culminant. Sans compter que ce sommet n’est sans doute que provisoire dans l’évolution, on est bien forcé d’admettre à la lumière des acquisitions récentes que l’animal ne se réduit pas à un système de réflexes comme on l’a cru jusqu’il y a peu encore. L’animal est doté de formes de sensibilité, voire d’affectivité, qui sont d’autant plus proches des nôtres que son organisme ressemble au nôtre. Les Diane Fossey et autres observateurs des grands singes nous l’ont bien appris et leurs travaux ont trouvé de nombreuses confirmations. Même les jardins zoologiques ont revu leur attitude vis-à-vis de leurs pensionnaires.
Pas de souffrance inutile
Ces préambules, qui ne sont pas exprimés comme tels dans le livre cité, nous amènent à une exigence de base : celle de ne pas faire inutilement souffrir l’animal. Certes, il faut manger pour vivre et en tant qu’hétérotrophes, nous ne pouvons trouver notre nourriture que dans le monde organique. Nous sommes donc obligés de tuer des animaux pour vivre ou de recourir aux végétaux, ou encore les deux, ce qui ne va pas sans poser de problèmes.
Pour ce qui concerne les animaux, nous en sommes venus à l’élevage intensif. S’agit-il là de méthodes qui évitent toute souffrance aux animaux ? On peut se le demander et la réponse est sans doute négative. Mais en même temps, l’élevage intensif n’a-t-il pas des conséquences sur notre propre santé ? Il suffit, pour répondre à cette question, de penser aux récents fléaux que notre monde agricole a vécus ou vit encore dans nos pays, et nous avec lui : vache folle, dioxines et tutti quanti. Quant au problème du lisier, qui entraîne sur la nappe phréatique des conséquences de plus en plus déplorables, il soulève lui aussi des interrogations.
Les végétaux pas épargnés
Les plantes nous dispensent-elles de pareilles questions ? Pas du tout et pour cause : nous pratiquons aussi la culture intensive. Les problèmes suscités par ces méthodes ne sont pas anodins eux non plus. Pensons à deux aspects qui reviennent régulièrement à la une de nos journaux. Le premier est celui des engrais. Eux aussi, ils altèrent la qualité des eaux. Et pas seulement celle des eaux souterraines : les petits ruisseaux qui font les grandes rivières aboutissent ainsi à la mer et y amènent de grandes quantités de phosphates et autres composés qui favorisent le développement de certaines algues. Résultat : un équilibre écologique bouleversé et une activité touristique ruinée car, qui voudrait d’une plage entièrement couverte par des tonnes de ces “salades” peu appétissantes ? Et pourtant cela existe et a fait le drame de plus d’un petit village côtier de Normandie ou de Bretagne, pour ne citer que ces deux régions.
Les légumes de l’apprenti sorcier
L’autre problème, c’est bien évidemment celui des plantes génétiquement modifiées. Il est certain que cette voie ouvre des perspectives vraiment intéressantes pour contribuer à résoudre le problème de la faim dans le monde, pour corriger certaines carences alimentaires, pour fabriquer des substances à usage médical ou industriel et sans doute dans d’autres domaines encore. Mais des questions subsistent quant aux répercussions de certaines modifications sur l’écologie végétale. La prudence reste donc de rigueur. Certes, il ne sert à rien de baser une opinion sur des considérations de type affectif. Mais puisqu’on ne sait pas tout, il y a peut-être des risques méconnus. Voilà donc une autre question éthique.
Notre conscience dans notre assiette ?
Ces brèves évocations devraient suffire à nous faire prendre conscience de notre implication. Nous ne pouvons éviter les questions qui viennent d’être évoquées. D’ailleurs, si on en est arrivé là, c’est un peu à cause de nous, parce que nous aimons le poulet ou la viande rouge et que nous ne sommes pas heureux les années où les pommes de terre coûtent plus cher parce que le climat a été défavorable. Alors, la majorité d’entre nous serait sans doute d’accord de voir apparaître nos sacro-saintes patates, génétiquement modifiées pour résister aux intempéries, à deux conditions : qu’elles soient au moins aussi bonnes que les autres et qu’elles ne soient pas plus chères. Pensons-y un peu à nos moments perdus… Dr. Jean Andris
Moeten, mogen, kunnen. Lessen voor de eenentwintigste eeuw; Redactie Bart Raymaekers, André van de Putte en Gerd van Riel; Universitaire Pers Leuven/Davidsfonds Leuven, 2001; 279 pages, ISBN 90-5826-096-8. |