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Cro-magnon réssuscité par la science

Faut-il voir dans l’alimentation de nos ancêtres la clé de l’équilibre lipidique du futur ? Toujours est-il que le développement de certains produits animaux optimalisés pourrait bien faire appel à une touche de « sauvage »

Par Nicolas Guggenbühl

" HEALTH & FOOD " numéro 55,
Octobre-Novembre 2002

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L'homme moderne est un paradoxe. Contrairement à ses prédécesseurs, pour qui la pitance n’étant en rien acquise, il est devenu la victime des excès de nourriture et de ses funestes conséquences. Et pourtant, l’espèce humaine est probablement la seule sur terre à avoir connu une augmentation faramineuse de l’espérance de vie à la naissance. Cela ne permet cependant pas de pavoiser et il y a encore de quoi faire pour satisfaire, de façon optimale, les exigences nutritionnelles du mangeur moderne. D’où le développement des aliments dits fonctionnels (Cf Health and Food n° 54), nom générique désignant un grand nombre de produits dont l’intérêt peut fluctuer fortement.

Extractions de composés bio-actifs, synthèse de vitamines, modification « à la carte » du génome… les techniques modernes ne manquent pas pour façonner les aliments de demain au gré des desiderata. Mais le futur peut aussi s’inspirer du passé, que ce soit pour la redécouverte de végétaux pratiquement disparus ou, pour le règne animal, la nourriture consommée par les animaux. Une piste qui suit son bonhomme de chemin pour arriver à des aliments fonctionnels pas comme les autres. C’est le cas du concept de l’œuf sauvage (Colombus), un oeuf développé en Belgique et qui, comme celui de Christophe Colomb, a traversé l’Atlantique. Le concept Colombus, qui consiste à reproduire le profil lipidique d’un œuf sauvage en utilisant un régime adapté à base de végétaux, était au centre d’un symposium international sur le thème des acides gras oméga-3, de l’évolution et de la santé humaine pour être présenté au pays de l’Oncle Sam (1)

Régime «paléo»

Le régime « paléolithique » ou « ancestral » a fait son apparition dans le vaste cercle des modes alimentaires. Il est riche en protéines et limite fortement les glucides. Il met l’accent sur la consommation de produits animaux, au point d’encourager l’ingestion de plusieurs centaines de grammes de viande par jour. Compte tenu de l’évolution du rapport oméga-6/oméga-3, on pourrait croire qu’un tel régime favorise l’équilibre lipidique. En réalité, il n’en est rien, car la composition lipidique des produits issus de l’élevage diffère singulièrement de celle des denrées que se procurait notre ancêtre chasseur-cueilleur. Le retour aux sources n’est donc qu’illusion, alors que le flot d’acides gras saturés est une réalité !

Nourrir les nerfs

Si les oméga-3 ont déjà fait l’objet de nombreux travaux montrant leur intérêt pour la santé du cœur et des artères, l’équilibre oméga-6/oméga-3 semble jouer un rôle à bien des niveaux. Ainsi, comme l’explique Michael Crawford (Institute of Brain Chemistry & Human Nutrition), le DHA a joué un rôle déterminant dans l’évolution de l’espèce humaine et contribué à sa supériorité intellectuelle. La santé mentale semble aussi tributaire d’un équilibre lipidique harmonieux entre ces deux familles d’acides gras. Sur base des données épidémiologiques, le Dr Joe Hibbeln (National Health Institute, Rockville, Etats-Unis) montre l’existence d’une relation inverse entre la consommation d’oméga-3 à longue chaîne (EPA et DHA retrouvés surtout dans les poissons gras) et la mortalité par homicide.

Il a effectué récemment une étude auprès de quelque 14 000 femmes révélant que l’apport en oméga-3 d’origine marine pendant la grossesse, ainsi que leur présence dans le lait maternel, sont associés à un risque plus faible de dépression post-partum. Sa dernière étude, en cours de publication, indique que les problèmes de comportement chez l’enfant âgé de 3 ans et demi sont plus fréquents lorsque la maman n’a pas mangé de poisson au cours de sa grossesse.

Les oméga-3 font aussi de plus en plus parler d’eux dans les déficiences neurologiques telles que l’apraxie et la dyspraxie. Le Prof Robert Katz (Omega-3 Research Institute, Bethesda) a ainsi montré, dans une étude pilote menée auprès d’enfants présentant des défauts de prononciation, qu’une alimentation riche en oméga-3 a permis une amélioration significative du traitement.

Omega-3 : trois valent mieux qu’un

Les acides alpha-linolénique (C18:3 n-3, ALA), eicosapentaénoïque (C20:5 n-3, EPA) et docosahexaénoïque (C22:6, DHA) sont-ils dotés des mêmes effets et sont-ils interchangeables ? Les dérivés à longue chaîne ont-ils les mêmes propriétés que leur précurseur ALA ? Pas si sûr, comme en témoigne l’analyse effectuée par le Dr Michel de Lorgeril (UFR de Médecine et Pharmacie, La Tronche, Grenoble), en se basant sur plusieurs grandes études menées en cardiologie.

En 1989, l’étude DART (Diet And Reinfarction Trial) révélait qu’avec la seule recommandation de manger du poisson (augmentation de l’EPA et du DHA), la mortalité cardiovasculaire et la mortalité toute cause étaient fortement réduites. Par contre, la récurrence d’événements non-fatals n’était en rien affectée : il y avait autant d’arythmies dans les deux groupes (poisson ou pas), précise Michel de Lorgeril, ce qui suggère que les oméga-3 du poisson agissent essentiellement sur la mort cardiaque brutale, mais pas sur l’évolution de la fibrillation ventriculaire. Ces données se voient confirmées après un suivi de 10 ans de la population de DART.

En 1999, le « GISSI trial », qui enrôlait plus de 11 000 survivants à un premier infarctus, montrait aussi que la supplémentation en EPA et DHA réduisait significativement la mortalité cardiovasculaire (- 30 % par rapport au contrôle), sans aucun effet significatif sur les événements cardiaques non-fatals.
Parallèlement, l’étude de Lyon, menée par Michel de Lorgeril, testait l’efficacité d’une alimentation de type méditerranéen comportant un supplément d’ALA sous forme de margarine. Les trois oméga-3 étaient donc bien représentés. Cette étude a montré une réduction importante de la mortalité cardiovasculaire, mais aussi des complications non-fatales.

Des résultats très comparables à ceux de l’étude de Lyon apparaissent dans le « Indo-mediterranean diet trial », qui va être publié dans peu de temps : il montre qu’une alimentation riche en ALA est associée à une réduction de l’infarctus aigu du myocarde (RR = 0,62) et de la mortalité totale (RR = 0,55).

Du « sauvage » dans l’assiette de demain

Ces données suggèrent qu’il vaut mieux opter pour une combinaison des oméga-3 à différentes longueurs de chaîne, plutôt que d’en privilégier l’un ou l’autre. C’est d’ailleurs ce que l’on retrouve au Japon, avec le poisson (EPA + DHA), les huiles de colza et de soja (ALA), ou encore dans l’alimentation méditerranéenne traditionnelle (et pas celle qui se base uniquement sur l’huile d’olive… et le vin rouge !). Et c’est aussi ce que puisaient nos ancêtres, par le biais notamment d’animaux se nourrissant de végétaux riches en oméga-3.

Mais les habitudes alimentaires changent et la composition des produits aussi. Ainsi, pour le Prof Artemis Simopoulos (The Center for Genetics, Nutrition and Health, Washington), « le rapport oméga-6/oméga-3 de nos ancêtres est évalué à 1-2. Aujourd’hui, il atteint 15 en Europe et 17 aux Etats-Unis ». Ceci tient notamment à une modification de notre alimentation (huiles et margarines riches en oméga-6), mais aussi aux profonds bouleversements survenus dans l’alimentation des animaux que nous mangeons, elle aussi trop riche en oméga-6 et trop pauvre en oméga-3.

Ainsi, les poules vivant en liberté en Grèce puisent leur oméga-3 dans différentes verdures (comme le pourpier) et dans les insectes. Elles pondent des œufs avec un rapport oméga-6/oméga-3 de 1,3, explique Artemis Simopoulos. Par contre, les œufs ordinaires prélevés dans les supermarchés américains affichent, pour ce rapport, une valeur de 19,4.

Ce type de différence concerne aussi les viandes et les produits laitiers, notamment les fromages. Et même les escargots, dont les Crétois sont particulièrement friands : les escargots ramassés en Grèce, où le pourpier sauvage est répandu, contiendraient environ 2 fois plus d’ALA que leurs cousins de Bourgogne. Sans compter que ces derniers finissent souvent au beurre à l’ail ! Et Simopoulos de conclure qu’il est temps de réintroduire les oméga-3 dans la chaîne alimentaire. Le défi est de taille pour les produits du règne animal, dont ce rapport n’a cessé de croître. Les produits animaux de demain seront-ils plus « sauvages » ?

Nicolas Guggenbühl
Diététicien Nutritionniste

* 1st International congress on the Colombus concept on omega-3 fatty acids, evolution and human health, Washington DC, 21-25 septembre 2002.

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