Par Nicolas Guggenbühl
" HEALTH & FOOD " numéro 56,
Novembre-Décembre 2002
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Faire toute la lumière sur les antioxydants n’est pas simple, tant cette famille compte de membres, qui peuvent agir en synergie et connaître une distribution variée dans l’organisme. Mais les nouvelles acquisitions scientifiques ne manquent pas, consolidant petit à petit leur rôle dans la prévention nutritionnelle.
Cardiovasculaire
Dans ce domaine, c’est l’oxydation du cholestérol qui a reçu beaucoup d’attention jusqu’il y a peu. Les recherches s’étendent désormais à d’autres aspects, notamment à la fonction endothéliale. Plusieurs données suggèrent qu’après un repas copieux, riche en graisses, survient une altération de la fonction endothéliale qui implique un mécanisme oxydatif. Des chercheurs chinois l’ont récemment confirmé auprès d’un groupe de patients atteints de maladie coronarienne. Ils ont montré que la prise orale de vitamine C (2g/jour) était même en mesure de corriger, chez ces patients, la modification de la dilatation postprandiale indépendante de l’endothélium survenant après un repas de 800 kcal comprenant 50 g de lipides (1).
L’augmentation de concentration plasmatique de radicaux libres de l’oxygène consécutive à l’ingestion d’un repas peut, en altérant la tunique interne des vaisseaux, déclencher une cascade inflammatoire et nuire ainsi à la santé cardio-vasculaire. C’est ce que des chercheurs de l’Université Buffalo (2) ont montré récemment auprès de 9 sujets sains ayant consommé un «petit déjeuner» copieux (900 kcal) composé de sandwich à l’œuf et au fromage et de pommes de terres rissolées. La cascade pro-inflammatoire peut même être initiée par une infusion de glucose ou d’acides gras, ce qui réduit la capacité des vaisseaux à se dilater ou à se contracter en réponse aux changements du flux sanguin. Par contre, l’administration de 1200 UI de vitamine E et de 500 mg de vitamine C avant une épreuve de surcharge au glucose permet d’éviter l’augmentation subséquente de formes oxygénées réactives et de marqueurs pro-inflammatoires. De là à dire que les antioxydants sont l’antidote des excès alimentaires…
La croûte ou la mie ?
Contrairement aux fruits et aux légumes, les produits céréaliers ne sont pas souvent présentés comme une source d’antioxydants. Pourtant, on commence à découvrir que ces produits, surtout lorsqu’ils ne sont pas ou peu raffinés, exercent une activité antioxydante d’un niveau comparable à celui des autres végétaux. Même un aliment séculaire comme le pain vient de faire l’objet d’une découverte insolite. C’est dans la croûte du pain – qui s’est déjà vue pointée du doigt par certains parce qu’elle est susceptible de contenir des composés cancérigènes – que des chercheurs allemands ont trouvé des quantités importantes d’un composé doté d’une activité anticancérigène (6). Il s’agit de la pronyl-lysine, un produit de la réaction de Maillard (ou brunissement non enzymatique) qui lie un acide aminé à un sucre réducteur. Ce composé, absent de la farine et formé lors de la cuisson, se trouve en quantité huit fois plus élevée dans la croûte que dans la mie. Il s’agirait du composé du pain le plus puissant pour stimuler les enzymes de phase II, qui jouent un rôle dans la détoxication de certains cancérigènes. De quoi redorer la croûte du pain !
N.G.
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Cancer
Les végétaux sont bien connus pour receler de nombreux antioxydants. Et si les résultats des études d’intervention portant sur la prise de doses importantes de bêta-carotène ont été plus que décevants, la piste des caroténoïdes reste d’actualité. Ainsi, une analyse récente provenant de l’étude finlandaise ATBC (Alpha-Tocopherol, Beta-Carotene Cancer Prevention Study), effectuée auprès de 27 084 hommes fumeurs, rapporte que la consommation élevée de fruits et de légumes est associée à une réduction sensible du risque de cancer du poumon : le risque relatif est de 73 % pour ceux dans le quintile supérieur pour l’apport en fruits et légumes, par rapport à ceux du quintile le plus bas (3). Une analyse plus fine montre que des taux élevés de lycopène, de lutéine/zéaxanthine, de bêta-cryptoxanthine, de caroténoïdes totaux, de bêta-carotène sérique et de rétinol sérique sont associés à un risque de cancer pulmonaire plus bas.
Fonctions mentales
Agir par le biais de la fourchette sur le déclin des fonctions mentales liées à l’âge, y compris la maladie d’Alzheimer, représente un des grands défis de la nutrition de demain. Les antioxydants apparaissent, là aussi, comme prometteurs. C’est en tout cas ce qui ressort clairement des études effectuées chez l’animal.
Parmi les dernières en date, il en est une qui consistait à enrichir en épinards la ration alimentaire du rongeur. Les rats recevant 2 % d’épinards lyophilisés apprennent plus vite à associer le son d’une cloche avec un souffle d’air que ceux recevant leur nourriture habituelle sans épinards : la réponse condition-
née, qui consiste dans ce cas précis à fermer les yeux lorsque retentit la cloche, ralentit avec l’âge. Cette expérience permet de penser que ce déclin pourrait être freiné par un apport adéquat en antioxydants (4).
Au même moment, une autre équipe publie les résultats d’un travail portant sur 3 régimes à teneurs différentes en antioxydants (5) : spiruline (activité antioxydante élevée), pommes (activité antioxydante moyenne) et concombre (faible activité antioxydante). Les rats âgés recevant le régime à l’algue bleue et ceux nourris aux pommes, présentaient, après deux semaines, une amélioration de la fonction neuronale, une régression des taux de substances inflammatoires dans le cerveau et une diminution du malondialdéhyde, un marqueur des dommages oxydatifs. Rien de tel n’était observé dans le groupe « concombre ».
Bien que ces données restent encore confinées à l’échelle des animaux de laboratoire, elles étayent le potentiel des antioxydants et soulignent les différences entre les nombreuses sources de ces composés. Elles confortent les messages en faveur d’un apport diversifié en nombreux antioxydants, notamment au travers d’une alimentation riche en végétaux.
Nicolas Guggenbühl
Diététicien Nutritionniste
Réf.
(1) Ling L et al. Clin Cardiol 2002;25(5):219-24.
(2) Travaux de Dandona P et al. Présentés à la réunion annuelle de l’American Diabetes Association, 16 juin 2002).
(3) Holick CN et al. Am J Epidemiol 2002;156(6) :536-47
(4) Cartford MC et al. J Neurosci 2002;22(14):5813-6.
(5) Gemma C et al. J Neurosci 2002;22(14):6114-20
(6) Lindenmeier M et al. J Agric Fod Chem 2002;50(24):6997-7006. |