.
 

Archives > N°62 > article
<< previous next >>

Des acides gras pour lubrifier les neurones

Les troubles de l'apprentissage et du comportement sont-ils liés à la façon de se nourrir ? C'est ce que pensent de plus en plus de spécialistes. Le rôle des acides gras dans le trouble déficitaire de l'attention/hyperactivité, la dyslexie et la dyspraxie, était au menu du 6e Congrès de nutrition et santé*.

Par Nicolas Guggenbühl et E. Mollet

" HEALTH & FOOD " numéro 62,
Décembre 2003

imprimer l'article

Jusqu'à présent, les troubles du développement de l'apprentissage et du comportement tels que le déficit d'attention/hyperactivité (ADHD pour Attention Deficit Hyperactivity Disorder), la dyslexie et la dyspraxie ont toujours été considérés comme des maladies appartenant au domaine de la psychiatrie. Ce n'est que depuis peu que des liens avec l'alimentation sont mis en lumière, même si ce n'est qu'une des pistes impliquées dans ces affections d'origine multifactorielle.
Ces troubles de l'apprentissage semblent toucher environ 5 % des enfants en âge scolaire. Pour Alexandra Richardson (Université d'Oxford, Royaume-Uni), ils concerneraient même, à des degrés divers, jusqu'à 20 % de la population. Ces pathologies peuvent survenir isolément, mais très fréquemment il y a une association de deux, voire trois de ces affections chez une même personne.

Repères

L'ADHD (Attention Deficit Hyperactivity Disorder) est un trouble du comportement de l'enfant. Il se caractérise par une inattention et /ou une hyperactivité et impulsivité. Ces enfants ont du mal à se concentrer, à terminer une tâche et sont assez turbulents.
La dyslexie signe une difficulté dans l'apprentissage de la lecture et de l'écriture et ceci indépendamment d'un retard intellectuel ou de scolarisation. Des difficultés pour les mathématiques peuvent également être présentes.
La dyspraxie est une affection au niveau psychomoteur ou psychosensoriel. Elle est caractérisée par une altération dans la capacité de prévoir et d'exécuter des tâches, que ce soit sensoriel ou moteur. Ces personnes apparaissent décalées, déphasées par rapport à l'environnement extérieur.

La saga des oméga

Les deux acides gras essentiels, à savoir l'acide linoléique et l'acide alpha-linolénique, sont connus pour être des composants essentiels des membranes cellulaires. Ils interviennent dans la croissance de l'organisme au niveau de l'ensemble des tissus et des organes et jouent un rôle dans le système immunitaire, inflammatoire et la reproduction. L'acide alpha-linolénique et ses dérivés supérieurs de la famille oméga-3 (le EPA et le DHA) sont particulièrement importants pour le développement du système nerveux et le maintien des fonctions cérébrales.
Ces acides gras hautement insaturés, ainsi que leurs homologues de la famille oméga-6, sont obtenus d'une part, par synthèse au départ des deux acides gras essentiels et, d'autre part, par l'alimentation. L'acide arachidonique (AA) et l'acide docosahéxaenoïque (DHA) jouent un rôle majeur dans la structure du cerveau et des yeux. L'acide eicosapentaénoïque (EPA) et le dihomogamma linolénique (DGLA) ont un rôle structurel mineur, mais ils sont nécessaires au bon fonctionnement du cerveau.


L'EPA plus efficace

Une déficience en acides gras essentiels dans l'hyperactivité a déjà été décrite il y a plus de 20 ans (1), ouvrant la porte à une nouvelle approche thérapeutique. Depuis, plusieurs travaux ont confirmé cette déficience. Ainsi, l'une d'entre elles montre que les taux sanguins d'acides gras hautement insaturés, surtout l'AA, le EPA et le DHA sont plus faibles chez les 53 enfants atteints d'ADHD, par rapport à un groupe contrôle de 43 enfants (2). Chez des enfants déficients en acides gras, la supplémentation en EPA, DHA, GLA et AA semble efficace pour modifier les taux sanguins en acides gras et réduire les symptômes d'ADHD. Par contre, il semble que le DHA donné seul n'apporte aucune amélioration. C'est ce que confirme une étude randomisée récente, menée en double aveugle, dans laquelle quatre mois de supplémentation en DHA d'enfants de 6 à 12 ans souffrant d'ADHD n'a donné aucun résultat. EPA et DHA ne semblent donc pas égaux devant l'ADHD, le premier aurait un rôle plus important que le second interviendrait plus dans les phénomènes d'attention et de cognition.

Manifestations visibles

La dyslexie s'accompagne aussi fréquemment de signes de déficience en acides gras hautement insaturés et des liens semblent exister entre la gravité de l'affection et l'importance de la déficience. Ainsi, une étude effectuée sur un large échantillon d'adultes confirme que, parmi les dyslexiques, les personnes présentant le plus de signes de carence en acides gras (soif excessive, miction fréquente, peau rêche ou sèche, cheveux secs et ternes, ongles mous ou cassants) sont celles qui rencontrent le plus de difficultés entre autres pour la lecture et l'orthographe (4).
" De nombreux travaux, dont des études randomisées et contrôlées, rapportent des effets bénéfiques pour la supplémentation en acides gras hautement insaturés dans l'ADHD et la dyslexie ", précise A Richardson. Toutefois, il apparaît clairement que les suppléments en oméga 3 (particulièrement en EPA) donnent de meilleurs résultats que les suppléments en oméga 6. Ceci résulte très probablement du déséquilibre entre les 2 familles d'acides gras, avec un excès d'oméga 6 et un déficit d'oméga 3.

Les voies de la conversion

Si l'apport alimentaire exerce incontestablement une influence sur le statut en acides gras, plusieurs autres facteurs peuvent intervenir : un problème dans la conversion des acides gras essentiels en acides gras à plus longues chaînes, une dégradation excessive des acides gras hautement insaturés à longue chaîne ou encore des difficultés dans le transport ou l'incorporation de ces acides gras dans les membranes.
A partir des acides gras essentiels, l'organisme peut synthétiser les dérivés plus insaturés et plus longs (acides gras hautement insaturés), mais toujours dans la même série (oméga-6 ou oméga-3). Dans ces voies de conversion, les deux séries utilisent le même bagage enzymatique. Tout apport excessif en une série peut engendrer un déséquilibre dans l'autre. D'où l'importance, au-delà des quantités absolues, d'un rapport oméga3/oméga6 adéquat.
Certains facteurs interfèrent avec cette conversion. Pour A.Richardson, il y a d'une part des facteurs constitutionnels tels que l'âge, le sexe, les allergies, le diabète, mais également l'alimentation et le mode de vie. Ainsi, poursuite le spécialiste, une alimentation caractérisée par un excès d'acides gras saturés et d'acides gras trans nuit à une bonne conversion. La consommation excessive de café, d'alcool et le tabagisme sont également pointés du doigt, de même qu'une déficience en vitamines et minéraux, en particulier le zinc. En d'autres termes, il ne suffit pas d'avoir assez d'acides gras essentiels dans l'alimentation, il faut également que le système de conversion fonctionne convenablement.

Remodelage lipidique

Ces données montrent donc qu'en marge des apports en AGHI, il y a de nombreux facteurs qui influencent le statut en ces acides gras. Si la supplémentation constitue une nouvelle piste thérapeutique prometteuse, l'axe préventif repose avant tout sur un bon équilibre lipidique dans l'alimentation. Il convient donc, une fois de plus, de mieux choisir ses matières grasses, en réduisant l'apport en acides gras saturés au profit des acides gras insaturés, plus spécifiquement en faveur des oméga-3.
En pratique, cela suppose le recours à des huiles végétales source d'oméga-3 (colza, noix, lin…) ou à des aliments qui les contiennent, mais aussi et surtout à revoir à la hausse l'apport en poisson, particulièrement le gras.
Le développement de nouvelles filières de production d'aliments animaux dont la composante lipidique se traduit par une diminution des acides gras saturés et une augmentation des insaturés, en particulier des oméga 3, va aussi dans le sens d'une meilleure couverture en acides gras essentiels.

A la source des acides gras

L'acide linoléique (C18:2 n-6) se trouve dans la plupart des huiles végétales (huiles de tournesol, maïs, carthame, soja, onagre,…) et les aliments qui les contiennent ( margarines, dressing,…)
L'acide alpha-linolénique (C18:3 n-3) : dans certaines huiles telles que celles de colza, de lin, de noix, de germe de blé et de soja et les aliments qui les contiennent, ainsi que certains œufs.
EPA et DHA : la source principale est le poisson, particulièrement les poissons gras (ex : maquereau, saumon, sardine, hareng, thon) et également les huiles de poissons.
L'acide arachidonique est largement présent dans le règne animal (viandes, abats, œufs,…)
L'acide gamma-linolénique est plus rare. On le trouve dans les huiles de bourrache, de pépins de cassis, d'onagre.

Nicolas Guggenbühl et E. Mollet
Diététicien Nutritionniste

1.Colquhoun, Bunday. Medical Hypotheses 1981;7:673-9.
2. Stevens et al. Am J Clin Nutr 1995;62:761-768.
3.Voigt et al. J Pediatr 2001;139:189-96.
4. Taylor et al. Prostaglandins Leukotr Essent Fatty Acids 2000; 63 :75-78.

haut de page


<< previous

Google

Web
H&F.be
 

 

© Health and Food est une publication de Sciences Today - Tous droits réservés