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Soja et prostate : la piste se balise

Bien que les données humaines soient encore peu nombreuses, diminuer le risque de cancer de la prostate grâce au soja fait figure de voie thérapeutique d'avenir. Il reste à déterminer les doses protectrices et à comprendre les mécanismes.

Par Nicolas Rousseau

" HEALTH & FOOD " numéro 62,
Décembre 2003

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Derrière le cancer du poumon, le cancer de la prostate est le cancer caractérisé par la mortalité la plus élevée chez les hommes en Europe occidentale. En revanche, en Asie, le nombre de décès dus à un cancer de la prostate demeure très faible. Des études de migration entre le Japon et les Etats-Unis indiquent que cette situation ne s'explique pas par des différences génétiques entre les deux groupes de population. Curieusement, les Japonais de sexe masculin développent aussi le cancer de la prostate, mais la maladie n'évolue pas, en ce qui les concerne, vers un stade plus avancé. Bref, le Japonais meurt avec, et non de, son cancer… L'épidémiologie plaide en faveur de la différence d'habitudes alimentaires pour expliquer en partie ce phénomène. Or, le soja constitue un élément important de l'alimentation des Asiatiques.

Du soja aux hormones

Le soja constitue une source unique d'isoflavones : la génistéine, principalement, mais aussi la daïdzéine et la glycitéine. Une partie seulement de ces phytoestrogènes est assimilée dans l'intestin, l'autre est transformée par la flore intestinale en équol, un puissant métabolite actif.
Ces composés ont une activité - certes faible - agoniste et antagoniste sur les récepteurs androgéniques chez l'homme. Plusieurs études in vitro ont montré que la génistéine (la principale et la plus active isoflavone du soja) est susceptible de freiner la croissance de cellules cancéreuses prostatiques de lignée humaine. L'hypothèse pseudohormonale semble tenir la route dans la carcinogenèse, mais elle n'est pas la seule (1). L'inhibition tumorale par la génistéine est probablement aussi le fruit d'une modulation de gènes impliqués dans le cycle cellulaire et l'apoptose. D'autres travaux ont suggéré que la génistéine désactivait les voies signalétiques du NF-kappa B, reconnues pour maintenir une balance homéostatique entre la survie et la mort cellulaire (apoptose). Et pour couronner le tout, la génistéine est aussi un puissant antioxydant et un inhibiteur potentiel de l'angiogenèse et des métastases. Mais alors pourquoi le soja n'est-il pas encore la panacée dans la prévention et le traitement du cancer de la prostate ?


Avoir du répondant

Premièrement, car on ne dispose à l'heure actuelle que de très peu de recul et de données à l'échelle humaine. D'ici à 2004-2005, la plus grande étude épidémiologique jamais réalisée dans le domaine du cancer de la prostate, le Prostate Cancer Prevention Trial aux Etats-Unis, donnera ses premiers résultats. En faveur du soja ? Plus tard, ce sera au tour de l'étude d'intervention SELECT (Selenium and Vitamine E Cancer Prevention Trial) de livrer son verdict. Peut-être déboucheront-elles sur des recommandations ou dégageront-elles des synergies …
Autre point d'achoppement : la biodisponibilité des isoflavones. Le sujet est encore fort délicat. Chaque isoflavone est associée à un glucide pour former ce que l'on appelle un glycoside. L'hydrolyse intestinale de ce lien pour en libérer l'aglycone n'est que partielle et une grande partie des isoflavones atteint le côlon, où elles sont fermentées, essentiellement en équol pour la daïdzéine. Et c'est là que tout se complique : l'équol possède les mêmes effets oestrogéniques (notamment antiandrogéniques) que les isoflavones, mais est en plus un antioxydant beaucoup plus puissant. Le problème ? Seuls 30 % des individus sont de bons producteurs d'équol (2), soulignait le Dr Setchell, Cincinnati Children's Hospital, à l'occasion du récent, et premier, symposium international sur les polyphénols (2). Cette différence entre " bons et mauvais " répondeurs à l'équol, fait en partie la lumière sur les errements de certaines études dans la découverte d'effets protecteurs du soja sur la prostate.

Plus que des doses homéopathiques

Enfin, la quantité d'isoflavones de soja ingérée importe aussi. Chaque fève de soja contient de 1.2 à 3.8 mg/g d'isoflavones et la concentration varie selon la sorte, les conditions de culture et la saison de plantation. Les produits commerciaux à base de soja (" lait " de soja, dessert au soja,…) comportent, eux, environ 2.2 à 3.3 mg/g d'isoflavones/g de protéines. L'exposition des Asiatiques aux isoflavones est telle que l'on rencontre parfois des concentrations plasmatiques en isoflavones 10.000 fois supérieures à celles des oestrogènes ou des androgènes… D'où leur activité ?
Selon les études, l'exposition aux isoflavones se situe dans la population asiatique dans la tranche de 50 à 150 mg par jour, ce qui en extrapolant, rapporte à une consommation journalière extrême d'environ 1200 ml de " lait " de soja, par exemple. On comprend donc aisément pourquoi de nombreuses études se tournent vers la supplémentation. La question reste de savoir si elle est aussi efficace que les baguettes…

Nicolas Rousseau
Diététicien Nutritionniste

 

Source :
(1) Sarkar FH et al. Cancer Invest. 2003 ;21(5) :744-57
(2) 1st International Conference on Polyphenols and Health. Vichy, France. 18-21 novembre 2003.

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