Rapidement après la naissance, grâce à l'exposition du nouveau-né à la flore maternelle, les bifidobactéries et les lactobacilles colonisent massivement le tractus gastro-intestinal, en particulier chez le nouveau-né nourri exclusivement au sein. Cette colonisation est cependant incomplète et s'établit progressivement jusqu'à l'âge de 2 ans, avec l'alimentation et l'environnement extérieur. Essentielle, elle stimule la maturation du système immunitaire de l'enfant, lui permettant, entre autres, de synthétiser et de sécréter des immunoglobulines A et d'orienter la réponse immunitaire vers un état d'équilibre. Or, cette balance immunitaire connaît aujourd'hui quelques « ratés », notamment en raison d'une sous expression de certains gènes de développement, liés à l'aseptisation de notre environnement. Manque de maturité
Le système immunitaire du nouveau-né est immature et caractérisé par une réponse déséquilibrée des lymphocytes T helper 2 (Th2) supérieure à celle des Th1. Conséquences : les agents pathogènes peuvent adhérer plus facilement et toutes les conditions sont réunies pour le développement d'une réponse inflammatoire ou allergique excessive. En temps normal, la colonisation du tube digestif a pour mission de rétablir cet équilibre en favorisant l'installation d'une flore composée de bifidobactéries et de lactobacilles. Or, chez les enfants nourris au biberon, on observe généralement (certaines préparations contournent cet obstacle par l'apport de pro- ou de prébiotiques) un déséquilibre de la flore intestinale avec diminution des bifidobactéries et augmentation des clostridies. Les modèles expérimentaux animaux souris « sans flore » ou d'animaux présentant une mutation du gène codant pour les « toll-like » récepteurs de type 4 (TLR), impliqués dans la reconnaissance des bactéries par le système immunitaire, ont montré que ces animaux étaient prédisposés aux réactions allergiques et à une inflammation intestinale chronique.
La folre: souppape de sécurité
La flore intestinale semble agir de manière cruciale dans l'induction de l'équilibre de la réponse immunitaire, y compris chez l'homme. Certaines découvertes réalisées avec des probiotiques illustrent très bien ce phénomène : les « bons microbes » assurent une normalisation de la perméabilité intestinale, augmentent des fonctions protectrices de la barrière intestinale et diminuent la réponse inflammatoire avec réduction de la production des cytokines pro-inflammatoires (les réponses de type IL-8, par exemple). Des recherches conduites à la Harvard Medical School par le Prof. Allan Walker, ont également montré que des extraits de lactobacilles ou de bifidobactéries peuvent stimuler la maturation dans l'intestin du nouveau-né des gènes du développement de l'immunité innée sous-exprimés (notamment l'IkappaB). Des études plus poussées sont nécessaires pour définir ces mécanismes.
Eczéma atopique : intérêt d'une action précoce
Dans le domaine allergique, les premiers résultats apportant la preuve de l'effet préventif de l'administration de bactéries probiotiques sur l'apparition de l'eczéma et son maintien dans le temps sont l'oeuvre d'une équipe de Finlandais. La supplémentation de la mère par Lactobacillus rhamnosus GG au cours de sa grossesse et pendant les 6 premiers mois de vie de l'enfant, à risque de développer un eczéma atopique, réduit de plus de 40 % l'incidence de ce type d'allergie. Ces résultats sont maintenus à 4 ans et viennent d'être confirmés à nouveau par des chercheurs finnois sur un plus large échantillon.
Cette étude randomisée contre placebo, reposant sur le même protocole expérimental que la première, regroupait 1223 femmes enceintes et 920 enfants suivis pendant 6 mois. Petite différence, les nouveau-nés du groupe test ont reçu cette fois un mélange de probiotiques (Lactobacillus GG, L rhamnosus LC705, Bifidobacterium breve Bb99, Propionibacterium freudenreichii ssp shermanii JS) et de prébiotiques (des galacto-oligosaccharides). Verdict : la mixture s'accompagne, en comparaison du placebo, d'une réduction de 34 % du risque d'eczéma atopique. Ces résultats sont corrélés à des populations bactériennes significativement plus élevées de lactobacilles, propionibactéries et bifidobactéries dans les selles des enfants du groupe « synbiotique ».
Une autre étude, américaine celle-là, indique que l'administration d'un probiotique chez 56 enfants âgés de 6-18 mois présentant un eczéma atopique de forme modérée à sévère améliore significativement le score SCORAD (évaluant la sévérité et l'étendue de l'eczéma) amélioré par rapport à celui mesuré avant l'étude et au placebo. On peut donc raisonnablement affirmer que la supplémentation par un probiotique
Diarrhées aiguës : les enfants mieux protégés
Une méta-analyse récente souligne également l'utilité réelle des probiotiques dans un autre contexte : celui des diarrhées aiguës. Appliquée sur une période courant jusqu'à février 2006, elle a retenu 34 publications, incluant 4844 patients. Les auteurs ont regroupé les diarrhées aiguës en trois catégories : diarrhées aux antiobiotiques, du voyageur et diarrhées d'autres catégories. L'évaluation montre que les probiotiques réduisent le risque global de 52 % pour la diarrhée associée à la prise d'antibiotiques, de 8 % pour la diarrhée du voyageur et de 34 % pour les diarrhées aiguës du dernier groupe. L'efficacité des probiotiques est cependant beaucoup plus marquée chez l'enfant que chez l'adulte. Elle est même doublée : la réduction du risque est de 57 % contre 26 %... En revanche, aucune bonne bactérie ne sort véritablement du lot : l'effet protecteur ne varie pas sensiblement selon les souches de probiotiques, que ce soient les souches les plus fréquemment utilisées ou de souches plus expérimentales. Une autre méta-analyse, plus ancienne, révèle que par rapport au groupe contrôle, la durée moyenne est réduite d'un peu plus d'un jour par épisode diarrhéique, ce qui est très important chez le tout-petit enfant qui risque une déshydratation. Enfin, in vitro, les travaux de M Freitas démontrent que Lactobacillus casei DN-114 001 peut modifier les caractéristiques du mucus, inhibant la fixation et la pénétration du virus dans les cellules. Ce mécanisme pourrait expliquer l'effet des probiotiques sur les diarrhées à rotavirus.
L'espoir dans l'entérocolite nécrosante
L'entérocolite nécrosante, enfin, est une autre cause majeure de mort chez les prématurés. Des données assez spectaculaires révèlent une réduction de la mortalité grâce aux bactéries probiotiques. Les travaux d'équipes japonaises sur la supplémentation en probiotique (Bifidobacterium breve) de l'alimentation des bébés de faible poids de naissance démontrent que la prise de poids de ces bébés est supérieure et qu'ils sont moins sujets aux infections. Ces essais cliniques conduits sur des enfants de très petits poids (environ 1 kg) en moyenne nés à 7 mois sont éloquents sur le seul résultat de la mortalité : 0 % dans le groupe des nourrissons ayant reçu le probiotique et 13,5 % dans le groupe contrôle. Des promesses extraordinaires qui ont été confirmées au cours de ces deux dernières années. Là encore, l'incidence des décès par entérocolite nécrotique est significativement réduite (moins de 5%) dans le groupe de nouveau-nés dont l'alimentation a été enrichie avec les bactéries probiotiques par rapport au groupe contrôle. Bref, si les probiotiques n'ont pas encore fait toutes leurs preuves chez le nourrisson, ils offrent cependant une opportunité thérapeutique plus que séduisante et... largement explorée !
Les probiotiques atomisent les champignons !
Autre exemple du potentiel anti-infectieux étonnant des probiotiques : la prévention des candidoses intestinales chez l'enfant prématuré. Les espèces Candida constituent la troisième cause d'infection chez le prématuré. Elles sont responsables de morbidité, d'altération du développement nerveux, voire de mortalité. Une étude clinique italienne, menée auprès de 80 prémas (poids inférieur ou égal à 1.5 kg) donne des résultats encourageants. Dès les 3 premiers jours de vie, les nouveau-nés ont reçu soit du lait maternel seul, soit du lait maternel enrichi en Lactobacillus GG (à raison de 6x109 UFC/j), pendant 6 semaines ou jusqu'à la sortie de l'unité de soin. Des prélèvements ont été réalisés chaque semaine à différents sites : oropharynx, selles, estomac et rectum. Les résultats indiquent que le probiotique a induit une colonisation significativement moindre du tractus digestif par Candida : le pourcentage d'enfants colonisés était de 23.1 % dans le groupe probiotique contre 48.1 chez les témoins. Ironie du sort, ce bénéfice n'est cependant constaté que chez les enfants ayant un poids oscillant entre 1 kg et 1.5 kg. Il reste maintenant à asseoir les résultats, mais ces premières retombées sont prometteuses dans une population à grand risque de complications.
Nicolas Rousseau ,
Diététicien nutritionniste
Références:
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