Par Nicolas Guggenbühl
" HEALTH & FOOD " numéro 84, Septembre - Octobre 2007
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L'alimentation méditerranéenne est faite de contrastes: d'un côté, ce modèle traditionnel a tendance à s'éroder dans les contrées dont elle est issue, d'un autre côté, la science ne cesse de souligner son potentiel pour relever les défis sanitaires actuels et ceux à venir. Après les maladies cardiovasculaires, certains cancers, le diabète de type 2, les affections inflammatoires... c'est le cerveau vieillissant qui représente une piste très prisée.
L'année dernière, une équipe de New York apportait des données tangibles montrant que les personnes qui adoptaient une alimentation de type méditerranéen risquaient moins de développer la forme de démence la plus courante qu'est la maladie d'Alzheimer (1) (2). Cette fois, l'équipe de New York va plus loin: ils ont voulu savoir si un tel mode alimentaire pouvait également avoir une influence une fois que la maladie a été diagnostiquée.
Huile d'olive, et bien plus...
Contrairement à bien des études en nutrition, qui se focalisent sur un aliment, une famille d'aliments, un ou plusieurs nutriments, il s'agit ici d'étudier un mode alimentaire dans sa globalité. Avec pour avantage de ne pas avoir besoin d'expliquer toutes les pièces du puzzle que représentent les innombrables interactions entre l'alimentation et la santé. Rappelons que l'alimentation méditerranéenne se caractérise par une richesse en légumineuses, légumes, fruits et céréales; l'apport en acides gras monoinsaturés est élevé (et issu principalement de l'huile d'olive), mais celui en acides gras saturés est bas; l'apport en poisson est modérément élevé, les produits laitiers sont consommés en quantités légères à modérées, et représentés surtout par le formage et le yaourt; l'apport en viande et volaille est bas; la consommation d'alcool est régulière, mais modérée, et s'effectue avant tout sous forme de vin au cours des repas. Manger méditerranéen ne consiste pas uniquement à utiliser de l'huile d'olive dans les salades et pour la cuisson!
Score méditerranéen
La manière de se nourrir peut correspondre à des degrés très divers aux principes de l'alimentation méditerranéenne. Dans cette nouvelle étude publiée dans Neurology (3), Scarmeas et ses collègues utilisent le MeDi score, une technique mise au point par A Trichopoulou et al (4) pour évaluer l'adhésion aux principes de l'alimentation méditerranéenne. Pour chaque catégorie d'aliments, un score de 0 ou 1 est attribué selon que la consommation se situe d'un côté ou de l'autre de la valeur médiane. Pour les composants « bénéfiques » (fruits, légumes, légumineuses, céréales et poissons), une consommation supérieure à la médiane donne un score de 1, alors que pour les aliments présumés néfastes (viande et produits laitiers), le score est attribué lorsque la consommation est inférieure à la médiane. Le même principe (par rapport à la médiane) est appliqué pour la valeur du rapport entre les monoinsaturés et les saturés (score de 1 pour une valeur élevée, 0 pour une valeur basse). Pour l'alcool, un score de 1 est attribué à une consommation faible à modérée, supérieure à 0 mais inférieure à 30 g par jour, alors qu'un « 0 » correspond à une consommation nulle ou atteignant 30 g et plus. Plus le score total est élevé (maximum 9), plus l'alimentation peut être qualifiée de méditerranéenne.
Des années de vie en plus
Dans cette nouvelle étude, les chercheurs ont examiné les habitudes alimentaires, à l'aide du score MeDi, de 192 personnes du nord de Manhattan, à New York, chez qui la maladie d'Alzheimer a été diagnostiquée. Les patients ont été suivis pendant une durée moyenne de 4,4 ans, avec des interviews tous les 18 mois, l'objectif étant de suivre la mortalité. Les résultats sont éloquents et confirment l'hypothèse d'un effet bénéfique de l'alimentation méditerranéenne même lorsque la maladie d'Alzheimer est déclarée. Les auteurs observent une réduction graduelle de la mortalité pour le tiers le plus élevé pour l'adhérence au MeDi score. Et la magnitude de l'effet protecteur est considérable: par rapport aux personnes du tiers inférieur pour le score MeDi, ceux du tiers du milieu ont un risque de mourir qui est 29 à 35 % plus bas. Chez ceux du tiers supérieur, le risque de mortalité est réduit de 67 à 73%! En transposant ces données en temps de survie, toujours par rapport à ceux du tiers le plus bas pour le score MeDi, les personnes qui mangent moyennement méditerranéen (tiers du milieu) vivraient 1,33 an plus longtemps, et ceux qui adhèrent le plus aux principes de l'alimentation méditerranéenne (tiers supérieur) gagneraient près de 4 années (3,91) de vie!
Multi-ethnies
Les chercheurs ont également interprété les données en tenant compte de différents facteurs susceptibles d'avoir une influence. Ainsi, les travaux antérieurs suggèrent qu'un BMI bas est associé à une moins bonne survie dans la maladie d'Alzheimer. Mais ici, rien n'y fait, l'effet protecteur associé au score MeDi n'est pas influencé en corrigeant par le BMI. Dans la même lignée, la prise en compte du génotype APOE, dont le rôle dans la maladie d'Alzheimer n'est pas encore très clair, ne modifie pas la relation observée.
Cette étude n'est pas seulement intéressante par l'ampleur des résultats observés: elle a été conduite à New York, c'est-à-dire bien loin des contrées bordant la Méditerranée, et de surcroît auprès d'une cohorte urbaine multiethnique. Les plus hauts scores du MeDi observés dans cette population sont très certainement inférieurs à ceux qui se retrouveraient aux abords de la Grande bleue, tout au moins dans une partie de la population. Car à New-York comme en Crète, le score MeDi fait l'objet d'une grande variabilité entre les individus. Plusieurs études ont montré que les avantages liés à un score MeDi élevé pouvaient être transposés d'une population à l'autre.
Évolution
Dans un éditorial consacré à ce sujet, James Galvin explique que la « découverte » du fait qu'un tel mode alimentaire peut apporter des bénéfices face à de nombreuses maladies chroniques conduit à une meilleure compréhension des adaptations environnementales et sociales survenues depuis les régimes du « chasseur-cueilleur » aux régimes et modes de vie caractéristiques des sociétés occidentales (acides gras trans, aliments transformés, sucres « raffinés », mode de vie sédentaire). Une évolution qui a été associée à une augmentation de la prévalence des maladies cardiovasculaires et d'autres maladies chroniques, dont la maladie d'Alzheimer. Et qu'en considérant toutes les avancées médicales et pharmaceutiques du dernier siècle, peut-être que la chose la plus importante qui reste à être dite aux patients, compte tenu des raisons qui les amènent à consulter, est de rester mentalement actif, physiquement en forme et d'adopter une alimentation équilibrée.
Nicolas Guggenbühl, Diététicien Nutritionniste
Références
Scarmeas N et al. Arch Neurol 2006; 63: 1709-1717
Scarmeas N et al. Ann Neurol 2006; 59: 912-921
Scarmeas N et al. Neurology 2007; 69: 1084-1093.
Trichopoulou A et al. N Engl j Med 2003; 348: 2599-2608.
Galvin JE. Neurology 2007;69: 1072-1073.
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