Par Nathalie Delzenne
" HEALTH & FOOD " numéro 42,
Septembre-Octobre 2000
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Dans les années 70, Burkitt et Trowell avaient fait naître la "Fiber hypothesis” : une alimentation riche en fibres jouerait un rôle important dans la prévention de pathologies chroniques telles que le cancer du côlon et les maladies cardio-vasculaires. Si les connaissances relatives aux fibres ont considérablement évolué en fonction des découvertes fondamentales – débouchant notamment sur la notion de "prébiotique" - l'hypothèse d'un effet protecteur des fibres (ou de certaines d'entre elles) motive toujours de nombreuses recherches. Mais voilà que dans la tourmente des découvertes fondamentales, les fibres alimentaires sont "assassinées" sans répit dans de nombreux journaux et magazines.
A l'origine de ce "meurtre médiatique", la publication récente d'un article (1) concluant qu'une supplémentation en fibres de son de blé ne protège pas contre les adénomes récurrents dans le côlon et le rectum. Cette expérience, menée sur 1429 hommes et femmes âgés de 40 à 80 ans, chez qui des adénomes ont été clairement diagnostiqués et prélevés 3 mois avant le début de l'étude, a comparé l'effet d'une alimentation supplémentée avec 2g/jour (les contrôles) ou 13,5g par jour (nourriture riche en fibres) de fibres de son de blé sur la récidive des adénomes. Une colonoscopie réalisée à l'issue de l'étude révèle la présence d'au moins un adénome chez 47% des patients " enrichis " et 51,2% des patients " contrôles ". Verdict statistique : différence non significative. Les auteurs concluent que "la preuve épidémiologique de l'effet protecteur des fibres de céréales contre le cancer colorectal est équivoque". Mais attention : équivoque n'est pas sans fondement, ni sans avenir.
Question de fermentation
Les recherches récentes supportent l'hypothèse que les fibres fermentescibles agissent via leurs produits de fermentation et principalement le butyrate, capable l'induire la "mort cellulaire programmée" ou apoptose dans les adénomes coliques et les lignées cellulaires cancéreuses (2). Si cette hypothèse trouve confirmation, il serait illogique d'attendre un effet protecteur de fibres alimentaires qui ne sont que peu ou pas fermentées, ou dont le profil de fermentation ne permet pas la production d'une quantité suffisante de butyrate (ce qui est le cas des fibres de son de blé). A quand une analyse des effets protecteurs des fibres alimentaires qui prend en compte leur devenir dans le tractus gastro-intestinal ?
D'autre part, est-il réaliste de croire qu'au sein d'un aliment existe " le " constituant miracle capable d'interférer avec un processus aussi complexe et incompris que la cancérogenèse ? L'année dernière, des spécialistes en cancérogenèse ont souligné l'importance d'un apport adéquat en fibres provenant non seulement des céréales, mais également des légumes et fruits, où les fibres alimentaires côtoient antioxydants et vitamines, susceptibles ensemble, en jouant sur des cibles différentes, de réduire les risques de maladies chroniques (3).
Remettons donc les fibres alimentaires à leur juste place, c'est-à-dire au cœur d'une alimentation variée et riche en fruits et légumes, en céréales pas ou peu raffinées sans oublier les légumineuses. Evitons à tout prix, en les considérant désormais comme inutiles, de classer les fibres alimentaires parmi les nutriments à la mode dépassée. Les consommer nous aide à maintenir un apport en lipides et glucides complexes adéquat, comme en attestent les études menées chez les végétariens. Si c'était là leur seule fonction, d'aider l'organisme à équilibrer l'apport en nutriments, cela suffirait à leur donner un rôle crucial dans le contrôle des pathologies associées au déséquilibre énergétique, dont le cancer.
Prof. Nathalie Delzenne (UCL)
Références
(1) Alberts DS et al. N. England J. Med, 342 (16), 1156-1162 (2000)
(2) McMillan et al. Biochem. Biophys. Res. Commun., 273 (1), 45-49 (2000)
(3) Williams G.M. et al. Toxicol. Sci., 52 (2S), 72-86 (1999)
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