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Retour aux sources pour les anti-oxydants

Les anti-oxydants nourrissent de nombreux espoirs dans la prévention de maladies chroniques majeures telles que les affections cardio-vasculaires et le cancer, ainsi que dans le ralentissement du processus de vieillissement. Si la prise massive de l’un ou l’autre d’entre eux n’a jusqu’à présent pas fourni la preuve de son efficacité, la consommation d’une large palette d’antioxydants naturels s’affirme de jour en jour comme un important élément de santé.

Par Nicolas Guggenbühl

" HEALTH & FOOD " numéro 46,
Avril-Mai 2001

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Les formes réactives de l’oxygène et autres radicaux libres qui sont produits par tout être “respirant” sont considérées comme des agresseurs altérant les structures biologiques telles que paroi cellulaire, matériel génétique etc. La « théorie anti-oxydante » repose sur l’hypothèse selon laquelle la majoration des apports en anti-oxydants augmente les défenses de l’organisme vis-à-vis de ces agressions, réduisant ainsi le risque de toute une série d’affections. Le bêta-carotène est l’archétype de cette grande famille de composés supposés jouer un rôle protecteur et pourtant, les essais menés il y a quelques années ont considérablement refroidi les espoirs d’une médecine préventive basée sur la prise de suppléments anti-oxydants hautement dosés.

Comme un coup de poignard !

L’étude ATBC (Alpha-Tocopherol Beta-Carotene Cancer Prevention Study) menée en Finlande avec du carotène (20 mg/j) et/ou de la vitamine E (50 mg/jour) testait, auprès d’un échantillon de près de 30 000 fumeurs, l’hypothèse d’un effet protecteur vis-à-vis du cancer du poumon. Elle s’est soldée par un cuisant échec : dans le groupe supplémenté en bêta-carotène, il y avait une augmentation de l’incidence des cancers du poumon et de la prostate. Le groupe recevant de la vitamine E montrait une légère réduction de l’incidence des cancers recto-coliques et de la prostate mais le cancer de l’estomac affichait une incidence accrue.

Deuxième grand échec, l’étude CARET (the beta-carotene and retinol efficacity trial to prevent lung cancer in asbestos-exposed workers and in smokers) réalisée aux Etats-Unis auprès d’une population à haut risque de cancer du poumon (des fumeurs et des travailleurs exposés à l’amiante). La supplémentation consistait en une combinaison de 30 mg de bêta-carotène et 25 000 UI de rétinyl palmitate. Les résultats étaient attendus pour 1999 mais l’étude fut interrompue prématurément en raison de l’augmentation de l’incidence des cancers du poumon.

Enfin, la Physicians’Health Study, menée auprès de plus de 22 000 hommes médecins aux Etats-Unis, n’a révélé, sur base de la mortalité par cancer au bout de 13 ans, aucun effet de la prise de suppléments de bêta-carotène (3).

Faut-il déduire de ces études que les anti-oxydants constituent une fausse piste pour la prévention nutritionnelle ? Non. Par contre, l’administration d’anti-oxydants à raison de plusieurs dizaines de fois la quantité fournie par l’alimentation avec l’espoir de bénéficier des mêmes effets protecteurs que ceux conférés par une alimentation riche en anti-oxydants naturels n’est plus d’actualité. Par ailleurs, le fait que les anti-oxydants agissent en synergie et que leur distribution dans les tissus – donc leur action locale – peut varier d’une substance à l’autre sont autant d’éléments qui plaident en faveur, non pas d’un apport accru en l’un ou l’autre de ces anti-oxydants mais d’une couverture ”à large spectre” telle que celle procurée par une consommation importante de fruits et légumes.

Le vin blanc version alicament

Les flavonoïdes du vin retiennent l’attention en raison de leurs propriétés anti-oxydantes. Ces polyphénols se retrouvent en plus grandes quantités dans le vin rouge que dans le blanc. Des chercheurs israéliens ont annoncé récemment qu’ils ont réussi à fabriquer un vin blanc dont le contenu en flavonoïdes est cinq fois plus élevé que celui du vin rouge. Le secret consiste à faire macérer les peaux de raisin (cette partie est particulièrement riche en flavonoïdes mais elle est rapidement séparée du liquide lors de la vinification en blanc) dans de l’alcool de vin puis d’ajouter ce liquide lors de la fabrication du vin blanc. Ces “prouesses” qui ne font probablement pas l’unanimité auprès des œnologues ne permettent pas non plus d’affirmer que l’élixir (dont le titre alcoolique est sensiblement accru) offre à celui qui le boit la fameuse cardio-protection dont bénéficient les Français malgré une alimentation grasse, protection encore appelée Paradoxe français.

La force des couleurs

A propos de l’étude ATBC, rappelons qu’entre autres observations, le taux de cancer du poumon était moins élevé chez les personnes présentant, au début de l’étude, un apport élevé en bêta-carotène et vitamine E d’origine alimentaire, confirmé par des taux sériques élevés pour ces deux anti-oxydants.

Le fameux bêta-carotène, même s’il s’agit de la forme naturelle (l’isomère cis-trans), n’est qu’un pion parmi la cinquantaine de caroténoïdes alimentaires, ces pigments qui confèrent aux végétaux des teintes jaunes, oranges et rouges (parfois masquées par le vert de la chlorophylle). Les protocoles d’études récentes en nutrition prennent de plus en plus en compte l’apport de plusieurs caroténoïdes différents. De ce zoom analytique, il ressort que les caroténoïdes sont loin d’être égaux entre eux.

Ainsi, le lycopène, pigment rouge retrouvé surtout dans la tomate et les préparations de tomates cuisinées mais aussi dans le pamplemousse rose et la pastèque, semble associé à une réduction du risque de cancer de la prostate, effet qui ne se retrouve ni pour l’alpha- et le bêta-carotène ni pour la bêta-cryptoxanthine (4). Par contre, cette dernière semble présenter un intérêt particulier pour la fonction pulmonaire : dans une étude récente, la concentration sérique en bêta-cryptoxanthine présentait une association étroite avec le volume expiratoire maximal (5). La lutéine et la zéaxanthine sortent du lot dans une étude portant sur la maculopathie liée à l’âge : les auteurs ont trouvé une association inverse entre l’apport alimentaire en ces deux caroténoïdes et le nombre d’anomalies pigmentaires (6).

Autre anti-oxydant dont les fruits et les légumes (surtout les crudités) constituent la principale source : la vitamine C. Dans une étude prospective récente (7), une équipe britannique a examiné la relation entre les concentrations plasmatiques d’acide ascorbique et la mortalité auprès de quelque 20 000 hommes et femmes âgés de 45 à 79 ans. Ils ont constaté une relation inverse entre la teneur en vitamine C dans le plasma et la mortalité, quelle qu’en soit la cause. Par ailleurs, les résultats montrent que cette diminution de la mortalité en fonction des taux plasmatiques d’acide ascorbique concerne la mortalité d’origine cardio-vasculaire chez les hommes et chez les femmes et la mortalité par cancer chez les hommes.

Pour 50 grammes de fruits !

Dans cette étude, les personnes du quintile supérieur pour les taux plasmatiques d’acide ascorbique présentent un risque de mortalité environ deux fois plus faible que celles du quintile inférieur. La relation observée est de type continu; les auteurs estiment que chaque augmentation de 20 micromole/l des taux plasmatiques de vitamine C correspondant à l’ingestion de 50 g de fruits et légumes est associée à une réduction d’environ 20 % du risque de mortalité pour toutes causes. Ce constat n’était pas influencé par des facteurs confondants dont ils ont tenu compte, à savoir l’âge, la pression sanguine, le taux de cholestérol, le tabagisme, la présence d’un diabète et l’utilisation de suppléments (notamment de vitamine C).

Bien entendu, rien ne permet d’affirmer que la vitamine C est le seul et unique instigateur de cette protection. Une alimentation riche en fruits et en légumes fournit aussi, outre vitamine C et caroténoïdes, d’autres composés susceptibles d’apporter leur contribution (fibres alimentaires, folates, substances phytochimiques…). Mais même si cette vitamine C plasmatique n’est que le reflet d’une meilleure couverture en micronutriments, cette étude montre qu’une augmentation, aussi modeste soit-elle, de la consommation de fruits et de légumes (50 g correspondent à un quart de pomme ou un tiers de pêche ou un demi-kiwi ou un gros abricot ou 6 fraises) constitue un geste santé à part entière.

Nicolas Guggenbühl
Diététicien Nutritionniste

Références :
(1) Albanes D et al. Am J Clin Nutr 1995;62(6 Suppl):1427S-1430S.
(2) Smigel K. J Natl Cancer Inst 1996;88(3-4):145.
(3) Cook NR et al. Cancer Causes Control 2000;11(7) :617-26.
(4) Gann PH et al.Cancer Res 1999;59 :1225-30.
(5) Schuemann et al. Am J Resp Crit Care med 2001;163(5):1246-1255
(6) Mares-Perlman et al. Am J Epidemiol 2001 ;153(5) :424-32
(7) Khaw KT et al. Lancet 2001;357(9257):657-63.

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