Par Nicolas Guggenbühl
" HEALTH & FOOD " numéro 49,
Novembre 2001
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Jadis, l’excès de poids était considéré comme un signe de prospérité. Une symbolique qui pouvait se comprendre lorsque l’accès à la nourriture était malaisé. Mais les choses ont considérablement évolué : le contexte de pléthore alimentaire, le faible coût de la calorie de gras et de sucre dans bon nombre de produits commerciaux (une calorie issue d’une saucisse est 5 fois moins chère qu’une calorie d’une viande maigre) et le manque d’information (et de formation) concourent au glissement de la prévalence de l’obésité dans les couches sociales moins favorisées. C’est un des aspects évoqués dans le dernier rapport de l’Académie Nationale de Médecine qui fait le point sur la problématique de l’excès de poids dans notre pays (1).
Les chiffres clés de l’obésité (1)
- La prévalence de l’obésité est passée de 8 % à la fin des années 70 à 15 % dans le milieu des années 90.
- La prévalence de l’obésité est négativement corrélée avec le niveau de scolarité : 22,5 % chez les individus sans diplômes, contre 6,7 % chez les individus ayant fait des études supérieures.
- Le risque cardiovasculaire est considérablement accru par l’adiposité abdominale, et ce déjà à partir d’un tour de taille supérieur à 80 cm chez la femme et 94 cm chez l’homme. Cela concerne près d’un Belge sur deux
- La présence d’un excès de poids à l’adolescence multiplie au moins par 5 la probabilité d’un excès de poids vers 40 ans.
- Tout surpoids d’1 kg au-delà de 30 ans entraîne une mortalité supplémentaire de 2 % dans les 25 ans qui suivent.
Outre l’augmentation de sa prévalence, il est préoccupant de voir à quel point l’obésité échappe de plus en plus à tout contrôle dans sa prise en charge. Ainsi, comme l’a montré une enquête récente menée par Test-Santé (2), les conseils du médecin viennent à peine avant le régime de saison pour ce qui est des motivations pour entamer un régime (respectivement 21 % et 19 %). Par ailleurs, une enquête menée par Research Consult (mai-juin 2001) rapporte que 16 % seulement des personnes ayant voulu perdre du poids disent l’avoir fait sur la recommandation du médecin (3). L’enquête souligne une fois de plus que ceux qui veulent maigrir ne sont pas forcément ceux qui en ont le plus besoin : le désir de perdre du poids se retrouve chez 30 % des personnes ayant un indice de masse corporelle (IMC) insuffisant et pour 47 % de ceux ayant un IMC idéal (entre 20 et 25).
Lipides : diminuer sans supprimer
La perte de poids n’a d’intérêt que si elle peut être maintenue. Les graisses doivent incontestablement être traquées mais pas de manière aussi radicale que l’on peut le croire. Une étude récente effectuée auprès de 101 adultes obèses a comparé l’effet de deux types de régimes contrôlés en énergie : le premier (A) modérément restreint en lipides (35 % de l’apport énergétique total AET) et de type méditerranéen, le second (B) fortement hypolipidique (20 % de l’AET).
Après 6 mois, la perte de poids était similaire dans les deux groupes. Mais la surprise est venue plus tard : après 18 mois, le groupe A présentait une perte de poids moyenne de 4,1 kg alors que le groupe B affichait un gain de 2,9 kg, une différence encore marquée après 30 mois. Les auteurs attribuent ces résultats à une meilleure adhérence au régime où les lipides sont encore présents. Bref, à vouloir trop perdre, on finit par gagner... des kilos ! |
Plus de nutrition
Il faut bien se rendre à l’évidence, il n’est point de solution miracle pour lutter contre l’obésité et même les spécialistes de la santé y perdent leur latin. L’Académie souligne l’importance de la prévention, notamment en dispensant des conseils nutritionnels appropriés dès le plus jeune âge. Pour le traitement, l’accent est mis sur l’approche multidisciplinaire, tout en réitérant l’importance de la prévention compte tenu des « limites importantes des traitements actuellement disponibles ».
Parmi les propositions d’action concrètes, l’Académie préconise l’intensification de l’enseignement de la nutrition dans les Facultés de Sciences de la Santé et un programme d’information-prévention au niveau scolaire. Par ailleurs, elle recommande la reconduction d’une grande enquête à l’échelle nationale sur les déterminants de l’obésité et les liens avec les facteurs de risque. C’est que la dernière étude de ce type réalisée en Belgique (BIRNH) a déjà vingt ans, ce qui est particulièrement âgé vu l’évolution de la prévalence de l’obésité et du comportement alimentaire. Encore faut-il que l’appel soit entendu…
Le “top 5” des aliments dont on se passe
le plus difficilement
lorsque l’on cherche à perdre du poids (3)
1. Sucreries
2. Pâtisseries
3. Chocolat
4. Boissons alcoolisées
5. Boissons sucrées
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L’hyperprotéiné montré du doigt
La méthode est quadragénaire mais elle reste, sous des habits plus modernes, très en vogue : compter sur un apport massif en protéines pour se dégraisser. Les poudres hyperprotéinées (dont certaines ne peuvent subvenir à elles seules aux besoins physiologiques car carencées en micro-nutriments) permettent de perdre du poids rapidement mais pas – et c’est le nœud du problème – d’acquérir de nouvelles habitudes alimentaires au long cours pour maintenir les résultats obtenus. D’autres régimes hyperprotéinés où les glucides sont bannis mais ou viandes, charcuteries et fromages peuvent être consommés à profusion s’accompagnent bien souvent d’un apport trop élevé de lipides et nuisent ainsi à la santé du cœur et des artères.
Voilà pourquoi le comité « Nutrition » de l’American Heart Association a récemment mis en garde les professionnels de la santé contre ces régimes (4). « Il est important pour le public de comprendre qu’il n’y a pas de preuve scientifique justifiant l’allégation selon laquelle les régimes riches en protéines permettent de maintenir la perte de poids », affirme R H Eckel, co-auteur du rapport et membre du comité. Et de préciser qu’en général, la perte de poids rapide ne fonctionne pas chez la plupart des personnes.
Le rapport de ce comité attire aussi l’attention sur l’appauvrissement de l’alimentation en denrées nutritionnellement riches, telles les fruits et légumes, sur la fatigue provoquée par la fonte du glycogène musculaire et sur le risque d’accélérer le déclin de la fonction rénale chez le patient diabétique.
Voici quelques repères préconisés par le comité pour évaluer un régime riche en protéines
- L’apport total en protéines ne doit pas être excessif (50 à 100 g/jour) et doit représenter environ 15 % de l’énergie totale (55 % pour les glucides et 30 % pour les lipides)
- Les glucides ne doivent être ni omis ni restreints (min. 100 g par jour).
- Le choix des protéines ne doit pas contribuer à un apport excessif en lipides totaux, acides gras saturés ou cholestéro
Nicolas Guggenbühl
Diététicien Nutritionniste
Références :
(1)Académie Royale de Médecine de Belgique, Surpoids, conséquences à long terme pour la santé et moyens d’action, rapport approuvé le 29 septembre 2001.
(2)Test-santé n° 44 août-septembre 2001, pp 28-31.
(3)Carrefour Santé sur le thème de l’obésité, à l’initiative de Medimpact, Bruxelles, 3 octobre 2001.
(4)AHA Science Advisory. Dietary Protein and Weight Reduction, Circulation 2001;104:1869.
(5)Mc Manus K, Antinoro L, Sacks F. A Randomized controlled trial of a moderate-fat, low-energy diet compared with a low fat, low energy diet for weight loss in overweight adults. Int J Obes Relat Metab Disord 2001;25(10):1503-11. |