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Sur les pentes de la glycémie

D’abord rejetés de l’alimentation du diabétique, les glucides ont progressivement retrouvé une place normale. Après la quantité, c’est la qualité des glucides qui retient de plus en plus l’attention. L’index glycémique devient un critère important pour jauger la qualité de la ration glucidique.

Par Nicolas Guggenbühl

" HEALTH & FOOD " numéro 61,
Octobre-Novembre 2003

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Depuis les premiers régimes pour diabétiques, prescrits au début du siècle dernier et dans lesquels les hydrates de carbone étaient littéralement évincés, les glucides ont retrouvé une place comparable à celle de l’alimentation équilibrée. À côté de cela, une attention plus grande a été portée à la qualité des graisses, que ce soit en cas de diabète avéré (en vue d’éviter les complications cardiovasculaires), mais aussi pour son rôle dans l’étiologie du diabète de type 2 (développement du phénomène de résistance à l’insuline). Mais les glucides n’ont pas bénéficié d’une telle approche qualitative, et sont donc à la traîne...

Il faut dire que les équations assimilant les sucres simples à des “sucres rapides” et les glucides complexes à des “sucres lents”, ont pendant longtemps brouillé les pistes. D’où l’importance de la notion d’index glycémique (IG), sorte de jauge de l’effet hyperglycémiant d’une portion de glucides. Il permet d’apporter de précieuses nuances quant au comportement de l’amidon, principale source d’énergie d’une alimentation équilibrée, qui peut libérer son glucose à des vitesses très variables.

L’amidon dans tous ses états

La rapidité avec laquelle l’amidon est digéré dépend de plusieurs facteurs, tels que l’accessibilité aux enzymes digestives, le degré de gélatinisation (modification de la structure de l’amidon sous l’action de la chaleur et de l’eau, par exemple au cours d’une cuisson à l’eau), la taille des particules ingérées, la proportion entre l’amylose et l’amylopectine… Cela explique que, parmi les innombrables sources d’amidon, il y a des fluctuations importantes d’une denrée à l’autre, d’une préparation à l’autre, mais aussi au sein d’une même famille. Ainsi, la présence de grains entiers, de fibres solubles ou le caractère mixte d’un repas exercent une influence favorable sur l’IG. Il s’agit cependant d’éviter de tomber dans le piège du gras : en retardant la vidange gastrique, les lipides étalent la glycémie postprandiale, ce qui peut sembler séduisant. L’IG n’a de réel intérêt que s’il est utilisé dans un contexte d’équilibre alimentaire, pour affiner le choix des sources de glucides, pas pour se substituer à d’autres principes, notamment concernant la quantité et la qualité des graisses.

Quelques exemples

L’index glycémique est plus faible pour…

  • Du blé dur (pâtes, boulgour) versus du blé tendre (farine pour pain, pâtisserie…)
  • Des pommes de terres à chair ferme (Charlotte, Nicola…) versus des pommes de terres farineuses (bintje…)
  • Des pommes de terre en chemise versus des pommes de terre en purée
  • Des céréales pour petit déjeuner versus des céréales pour petit déjeuner + lait
  • Des biscuits “humides” versus des biscuits secs
  • Du pain de seigle avec grains entiers (pumpernickel) versus du pain de seigle à mouture fine
  • De l’index à la charge glycémiante

    Si l’IG peut contribuer à une sélection plus judicieuse des denrées, il ne suffit pas à améliorer la qualité de la ration glucidique. En effet, tant la glycémie que la réponse insulinique dépendent aussi de la quantité de glucides. C’est la raison pour laquelle on utilise de plus en plus la charge glycémiante, qui combine l’IG à la quantité de glucides (charge glycémiante = IG x grammes de glucides). Cette charge a récemment fait l’objet d’une validation auprès de jeunes adultes en équilibre de poids(1). La charge glycémiante peut attirer l’attention sur certains dérapages comparables à ce qui peut être observé avec les aliments allégés : sous prétexte de leur allègement, ils sont souvent consommés… en plus grandes quantités. En clair, ce n’est pas parce qu’un aliment possède un IG bas, que l’on doit en consommer plus !

    Obésité : glucides contre lipides

    Pour perdre du poids, l’abaissement de l’index glycémique serait-il préférable à la réduction de la quantité de lipides ? Des chercheurs ont comparé récemment, parmi un groupe de 16 obèses âgés de 13 à 21 ans, l’effet d’une alimentation ad libitum avec une charge glycémiante basse (aliments à faible IG), à celui d’un régime hypocalorique et hypolipidique (25 à 30 % de l’énergie sous forme de lipides). L’intervention a duré 6 mois, et le suivi encore 6 mois de plus(4). Les résultats au terme des 12 mois indiquent que tant le BMI que la masse grasse ont diminué de façon significativement plus importante dans le groupe à la charge glycémiante basse. L’analyse des données révèle que, contrairement à la teneur en lipides, la charge glycémiante est capable de prédire la réponse au traitement dans les deux groupes. Bien que ces données méritent d’être confirmées à plus grande échelle, elles attirent l’attention sur des pistes alternatives dans la prise en charge du problème de l’obésité.

    N.G.

    Méta-analyse

    Bien que l’IG ne fasse toujours pas l’unanimité parmi la communauté scientifique, il existe de plus en plus d’arguments solides en sa faveur, tant chez le patient diabétique que chez le bien portant. Parmi les enjeux de santé liés à l’abaissement de l’IG de la ration, figure la réduction du risque de diabète de type 2, du risque cardiovasculaire et de certains cancers. Récemment, une équipe australienne, conduite par Jennie Brand-Miller(2), a effectué une méta-analyse à partir d’études randomisées et contrôlées, dans le but d’évaluer l’intérêt d’une alimentation à faible IG pour le contrôle glycémique des patients diabétiques (type 1 et type 2). Dans cette étude, on entendait par alimentation à index glycémique : o Bas : la plupart des glucides venant de denrées avec un IG bas, comme les légumineuses (haricots et pois secs, lentilles), pâtes, pain de type pumpernickel, boulgour, riz “parboiled” (précuit à la vapeur), orge et avoine. o Elevé : un régime pour diabétique standard, comprenant des pommes de terre, de la farine de blé, du pain blanc, du riz et des céréales pour petit déjeuner avec un IG élevé. De plus, il fallait que les sujets du groupe “intervention” (conseils pour réduire l’IG) aient modifié au moins 2 repas par jour ou que ce changement porte sur plus de 50 % de l’apport glucidique total.

    Quand les glucides affectent la mémoire !

    Bien que le glucose soit un carburant essentiel pour alimenter le cerveau, les sujets âgés atteints d’un diabète de type 2 présentent souvent une détérioration de la mémoire. L’hyperglycémie postprandiale y est-elle pour quelque chose ? Des chercheurs ont soumis des diabétiques de type 2 âgés (63 ans en moyenne) à une batterie de tests portant sur la mémoire verbale, les fonctions cérébrales et l’humeur, dans 2 situations : à jeun et après ingestion de 50 g de glucides rapidement assimilables (une demi-brioche et du jus de raisin)(5). L’expérience montre que dans les conditions de jeûne, l’hémoglobine glycosylée est associée négativement aux performances pour un des deux tests de mémorisation verbale. Une glycémie élevée est aussi associée à de moins bons scores pour le rappel d’une liste de mots. La prise de nourriture améliore, après 15 minutes, le rappel différé, mais celui-ci se voit affecté 30 minutes après l’ingestion des glucides “rapides”. Les épreuves portant sur les fonctions cérébrales et l’humeur n’ont pas été influencées par les glucides. Cette étude montre que, chez les adultes atteints d’un diabète de type 2, un moins bon contrôle glycémique affecte la mémoire déclarative et qu’une prise alimentaire avec un IG élevé contribue à l’altération sous-jacente de la mémoire. Il n’est donc pas improbable qu’une réduction de la charge glycémiante de l’alimentation contribue à optimiser les fonctions cognitives…

    N.G.

    L’index fait mouche

    Les paramètres sélectionnés étaient l’hémoglobine glyquée (HbA1C), reflet de la glycémie au cours des 6-12 semaines précédentes, ou la fructosamine, reflet de la glycémie des 2 à 4 semaines précédentes. Quatorze études répondaient aux critères d’inclusion, portant sur un total de 356 sujets. Les résultats sont éloquents : le régime à IG bas se traduit par un taux d’HbA1C de 0,43 % plus bas, par rapport au régime à IG élevé. En prenant l’HbA1C et la fructosamine et après ajustement pour les valeurs de départ, la différence des protéines glycatées atteint 7,4 % entre régime à IG bas et régime à IG élevé. Pour mieux apprécier ces résultats, précisons que chez les patients atteints de diabète de type 2, une diminution de l’HbA1C de 0,1 % entraîne une réduction de 21 % de l’ensemble des complications liées au diabète, de 21 % de la mortalité liée au diabète, de 14 % des infarctus du myocarde et de 37 % des complications microvasculaires(3). Les auteurs concluent que les conseils visant à l’adoption d’une alimentation avec un IG bas se traduisent par une amélioration du contrôle de la glycémie qui s’avère au moins aussi efficace que les nouveaux agents pharmacologiques tels que les analogues de l’insuline à action rapide…

    Nicolas Guggenbühl
    Diététicien Nutritionniste

    Réf:
    1 Brand-Miller J et al. J Nutr. 2003;133(9)2695-6.
    2 Brand-Miller Jet al. Diabetes Care 2003;26:2261-7.
    3 U.K. Prospective Diabetes Study Group. Lancet 1998;352:837-53
    4 Ebbling CB et al. Arch Pediatr Adolsc Med 2003;157(8):773-9.
    5 Greenwood CE et al. Diabetes Care 2003;26(7):1961-6.

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