Par Nicolas Guggenbuhl
" HEALTH & FOOD " numéro 61,
Octobre-Novembre 2003
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Quel est le point commun entre l’alimentation méditerranéenne, celle des Inuits et celle des Japonais ? Malgré des environnements différents, les trois se caractérisent par des similitudes dans le profil des lipides ingérés, notamment la bonne représentation des acides gras oméga-3. Trois modes alimentaires qui sont aussi associés à une très faible mortalité cardiovasculaire.
L’importance des acides gras oméga-3 à tous les stades de la vie, de la période fœtale jusqu’au grand âge, fait l’objet d’une véritable prise de conscience. Faut-il pour autant se contenter d’ajouter des oméga-3 un peu partout ? La notion d’équilibre lipidique, qui était au centre du deuxième symposium international sur le concept Columbus*, propose une approche plus large. La réduction des acides gras saturés au profit des insaturés est toujours d’actualité, mais l’attention se porte désormais surtout sur l’équilibre entre les deux familles d’acides gras poly-insaturés, les oméga-6 et les oméga-3.
Déséquilibre omniprésent
“Il y a actuellement un énorme déséquilibre dans toute la chaîne alimentaire”, déclare le Dr Artemis Simopoulos (The Center for Genetics Nutrition and Health, Washington) : “Alors que le rapport oméga-6/oméga-3 est resté proche de l’unité depuis le paléolithique jusqu’aux siècles derniers, il s’est considérablement accru en l’espace de quelques décennies”. Ce rapport est resté proche de 2 en Grèce avant les années soixante, ce qui s’explique en grande partie par la composition des aliments des animaux sauvages : feuilles, herbes, mais aussi escargots sauvages et vers de terre représentent de précieux fournisseurs d’oméga-3. Actuellement, parmi les pays industrialisés, c’est le Japon qui détient le rapport oméga-6/oméga-3 le plus bas (environ 4), alors que le Nord de l’Europe et les Etats-Unis atteignent 15 et plus.
Les recommandations en faveur de la majoration des oméga-3 dans l’alimentation émergent de toutes parts. Toutefois, concernant le rapport oméga-6/oméga-3, l’objectif visé par ces recommandations est plus proche de 4 à 5. Pour la généticienne Simopoulos, ce rapport devrait idéalement être égal à 1, et en tout cas il ne devrait pas dépasser 4, au risque d’empêcher la conversion de l’acide alpha-linolénique (C 18/3 n-3) en ses dérivés supérieurs (EPA et DHA).
Retour vers le “sauvage”
Le remodelage de la composition lipidique des aliments de demain pourrait bien s’inspirer de ce que l’on observait autrefois. L’anthropologue Michael Crawford (London Metropolitan University, Londres), explique que “par rapport aux produits de l’élevage intensif, l’animal sauvage se caractérise par plus de muscles, moins de graisses, mais aussi plus d’oméga-3, avec un rapport oméga-6/oméga-3 nettement plus avantageux”. Ainsi, dans le bœuf, le rapport entre les acides gras non essentiels et ceux qui sont essentiels est passé de 3…à 50!
Autres lipides montants : les CLA ou acides linoléiques conjugués, tout au moins les isomères naturellement présents dans le règne animal. Ils sont produits notamment dans le rumen du bovin, mais aussi dans les tissus, en particulier dans la glande mammaire, grâce à l’action de l’enzyme delta-9 désaturase. Ils sont donc présents dans les muscles squelettiques (donc la viande) et surtout dans le lait. Or, comme souligne le Prof. Gerard Huyghebaert (CLO-DVV), l’augmentation des acides gras saturés et la diminution des mono-insaturés inhibent cette enzyme. Il y a donc fort à croire que l’apport en CLA a, lui aussi, connu une nette érosion depuis le régime de nos ancêtres du paléolithique…
Œufs au lard… et l’art du coq !
Le concept Columbus s’appliquait jusqu’à présent à des poules nourries avec de la verdure, des huiles et des graines riches en acide alpha-linolénique et des antioxydants naturels (afin de préserver les précieux acides gras poly-insaturés des phénomènes d’oxydation), en vue de remanier la composition lipidique. Le rapport oméga-6/oméga-3 de cet œuf atteint l’unité (alors qu’il est en moyenne de 17 dans les oeufs standards). Mais un œuf, aussi performant soit-il, peut difficilement prétendre redresser à lui seul la balance des acides gras de l’alimentation, ce qui explique le développement d’autres denrées basées sur le même concept : nourrir l’animal autrement. C’est le cas du poulet “Coqard Columbus”, un coq ardennais à croissance lente, qui se présente depuis peu dans les rayons d’une chaîne de grandes surfaces. Des viandes porcines et bovines de composition plus “sauvage” devraient également voir le jour.
Quoi de neuf pour l’œuf ?
L’œuf Columbus a déjà fait l’objet de nombreuses études pilotes. Une des dernières en date a été effectuée à Téhéran auprès de 42 étudiants sains. Les jeunes devaient consommer 2 œufs Columbus par jour, pendant 6 semaines. Les résultats confortent les données des travaux précédents, à savoir la stabilité du cholestérol total, une augmentation du cholestérol HDL (+ 13 %), une nette diminution des triglycérides (- 23 %). Mais ce n’est pas tout : l’insulinémie à jeun a diminué de 28 % et la protéine réactive C, un marqueur de l’inflammation, affiche une baisse de 13 %. La leptine figure sur la liste des prochaines investigations programmées. À suivre... |
Le pain prend de la graine
Le règne végétal n’est pas pour autant oublié. Arrive une huile à base d’huile d’olive (connue pour sa richesse en acides gras mono-insaturés, mais dont on passe souvent sous silence sa pauvreté en oméga-3) et d’huile de linette, (jeune lin, très riche en acide alpha-linolénique), avec un rapport oméga-6/oméga-3 égal à 1. Et bientôt du pain. Pour celui-ci, plutôt que d’ajouter des graines de lin (qui contient des facteurs antinutritionnels et dont la biodisponibilité des précieux oméga-3 dans la graine entière laisse à désirer), c’est une autre graine qui a été choisie : le “Chia”, qui signifierait “force” dans la langue des Mayas. Il s’agit d’une petite graine mucilagineuse cultivée en Amérique centrale et en Amérique du sud. Son rapport oméga-6/oméga-3 est très bas (0.3, ce qui est comparable au lin) et les acides gras poly-insaturés y sont préservés de l’oxydation grâce à la présence d’acide cinnamique et de flavanols. Et pour suivre, des poissons issus de l’élevage, mais au profil “sauvage” pourraient bientôt nager dans les étals…
Nicolas Guggenbuhl Diététicien Nutritionniste
* Athènes, 24-27 septembre 2003
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