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Les oméga-3 gardent la tête froide

Les acides gras oméga-3 ont déjà fait l'objet d'un volume impressionnant d'études, en particulier pour leurs effets sur la santé du cœur et des vaisseaux. A l'heure actuelle, c'est aussi leur rôle dans le développement et le fonctionnement du système nerveux qui prend la tête des spécialistes…

Par Nicolas Rousseau

" HEALTH & FOOD " numéro 63, Janvier/Février 2004

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Les acides gras oméga-3, et surtout le rapport entre oméga 6/oméga-3, font l'objet d'une intense activité de recherche. Au sein des membranes cellulaires, ce rapport - qui reflète l'apport alimentaire (1) – influence plusieurs aspects des neurotransmissions sérotoninergiques et catécholaminergiques. Ce ratio est aussi prépondérant dans le maintien de la fluidité membranaire et, par voie de conséquence, dans ses fonctions. Et le métabolisme des acides gras essentiels membranaires conduit à la synthèse des prostaglandines : les oméga-6 génèrent des prostaglandines au fort potentiel inflammatoire, à l'opposé des composés issus des acides gras oméga-3.

Du cerveau à l'assiette, le subtil équilibre entre les deux acides gras essentiels pourrait donc s'avérer déterminant dans le développement d'une dysfonction neuronale. Et les scientifiques suivent aujourd'hui la piste des oméga-3 de très près dans des maladies comme la dépression, la schizophrénie, voire pour expliquer certaines tentatives de suicide ou des accès de violence.

Le cerveau dérangé

La prévalence de la dépression est en augmentation depuis plusieurs années. Si de multiples facteurs contribuent à cette triste évolution, l'hypothèse d'un changement de nos habitudes alimentaires est prise très au sérieux, notamment la croissance notable du ratio oméga 6/oméga 3 (W6/W3).

Une équipe de chercheurs de l'université de Liège a récemment dressé un état des lieux sur base de la littérature existante (2). Plusieurs données épidémiologiques plaident ainsi en faveur d'un lien entre les faibles taux de dépression et/ou de suicide et la forte consommation de poisson, sans que cela ne permette toutefois d'établir un lien de causalité.

Dans l'Océan Arctique (3), des études d'observation ont toutefois clairement montré que l'adoption d'un régime alimentaire occidental (notamment plus pauvre en produits de la mer et donc en oméga-3) ces 15 dernières années a eu des répercussions néfastes sur la santé mentale. Conjointement à l'obésité, qui a augmenté de manière saisissante durant la même période, les populations du grand froid sont désormais beaucoup plus sujettes à la dépression, à des troubles affectifs saisonniers, à de l'anxiété et même à des envies suicidaires que les populations situées à de plus basses latitudes.

Triste vieillesse ?

Plus près de chez nous, l'heure de la retraite ne signe pas forcément la fin des soucis… C'est en tout état de cause le compte rendu d'une étude néerlandaise conduite chez 3884 seniors de plus de 60 ans issus de la Rotterdam Study (4). Elle a comparé le rapport W6/W3 dans l'alimentation de 264 sujets dépressifs à celle de 461 sujets contrôles sains. Résultats : ce rapport était plus important dans le groupe dépressif (7.2 % versus 6.6 %), et plus encore si le taux de protéine C-réactive était normal. Les concentrations plasmatiques en oméga-3 (exprimées aussi en pourcentages des phospholipides) étaient, quant à elles et logiquement, plus basses dans le groupe des dépressifs (5.2 % vs 5.9%). Pour les auteurs de l'étude, comme cette relation n'était pas secondaire à l'inflammation, à l'athérosclérose ou à d'autres facteurs confondants, elle suggère donc un rôle direct de la composition en acide gras sur " l'humeur " au grand âge.

Entre le feu et la glace

Dans la dépression profonde, la plupart des études lèvent le voile sur une diminution significative des acides gras oméga-3 et/ou une augmentation tout aussi significative du rapport W6/W3 dans le plasma et les membranes des globules rouges. Certains travaux évoquent même l'existence d'une relation dose-réponse (2).

Parallèlement à ces perturbations, c'est une activation exacerbée de la réponse inflammatoire qui est aussi mise en valeur dans les formes majeures de dépression, une réaction qui est en partie compensée par l'administration d'antidépresseurs. Là encore, les oméga-3 jouent peut-être un rôle bénéfique de manière analogue aux psychotropes, par leur faculté à réduire fortement la production d'IL-1 bêta, d'IL-2, d'IL-6 et de TNF-alpha, des cytokines pro-inflammatoires, au contraire des acides gras oméga-6.

A côté des ces effets des acides gras poly-insaturés, les faibles concentrations de cholestérol ont cette fois la mauvaise étiquette dans les symptômes dépressifs, mais aussi dans les comportements suicidaires, même si ces données sont controversées (2). Cela semble paradoxal, dans la mesure où les états dépressifs sont dits en progression, alors que l'excès de cholestérol en Belgique concerne près de sept personnes sur dix…

L’anticyclone après la dépression ?

L'utilisation thérapeutique des oméga-3 dans les états dépressifs est-elle pour autant une voie d'avenir ? S'il est encore un peu tôt pour le dire, c'est néanmoins une idée à creuser pour diminuer, par exemple, la longue liste des médicaments qu'ingurgitent certains patients névrosés.

Quelques études d'intervention ont montré que la supplémentation en acides gras oméga-3 chez des patients avec des troubles bipolaires s'accompagnait d'une période plus longue de rémission de la maladie (2). L'administration d'oméga-3 s'est également avérée efficace, chez des petits échantillons de patients, sur la réponse à la thérapie.

Le " baby blues " de la femme enceinte, qui survient généralement quelques semaines après l'accouchement, constitue une autre forme de dépression où le statut en oméga-3, et particulièrement en DHA (acide docosahexaénoïque), apparaît fragilisé. En effet, le statut en oméga-3 baisse de manière physiologique dans le sang au cours du troisième trimestre de la grossesse.

Dans une étude d'observation (5) impliquant 112 femmes à l'accouchement et 32 semaines plus tard, la " récupération " d'un statut " normal " en DHA s'effectuait plus lentement chez les femmes reconnues dépressives au travers du questionnaire EPDS (pour Edinburgh Postnatal Depression Scale), par rapport aux femmes non dépressives.

La supplémentation en oméga-3, mais certainement aussi une plus grande consommation de poissons gras et d'huiles végétales riches en oméga-3, pourrait donc se justifier à cette période si importante de la vie d'une femme.

Nicolas Rousseau
Diététicien Nutritionniste

Sources :
(1) Haag M et al. Can J Psychiatry 2003; 48(3): 195-203
(2) Colin A et al. Encephale 2003 ; 29(1) :49-58
(3) McGrath-Hanna HK et al. Int J Circumpolar Health 2003;62(3):228-41
(4) Tiemeier H et al. Am J Clin Nutr 2003;78(1):40-6
(5) Otto SJ et al. Prostaglandins Leukot Essent Fatty Acids 2003;69(4):237-43

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