Par Nicolas Guggenbühl
" HEALTH & FOOD " numéro 72, Mai/Juin 2005
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Le cancer de la prostate est une progression. En terme de prévalence, il a détrôné le cancer du poumon, pour devenir la première cause de cancer chez l’homme. En termes de mortalité, il vient en deuxième position, juste après le cancer du poumon. Contrairement à l’âge, à l’hérédité et à la race, l’alimentation représente un facteur de risque modifiable, et mérite donc toutes les attentions. Plusieurs pistes nutritionnelles se dégagent d’une récente revue des données réalisée par trois chercheurs de Los Angeles, aux Etats-Unis (1). Le premier élément qui se dégage clairement des différentes recherches menées dans plusieurs pays est l’apport en graisse : on s’accorde à reconnaître qu’une alimentation trop grasse augmente le risque de ce cancer. Le mécanisme n’est pourtant pas élucidé, les recherches portent sur plusieurs axes, comme une influence sur les taux sériques d’androgènes, la production de radicaux libres, de métabolites pro-inflammatoires générés par les acides gras ou encore l’influence de l’alimentation sur les taux du facteur de croissance analogue à l’insuline (IGF-1).
Tomates rouges et thé vert
Plusieurs données suggèrent que les antioxydants peuvent jouer un rôle préventif. Do côté des aliments, c’est surtout bien documenté pour le lycopène, le pigment rouge de la tomate. Il semble cependant de plus en plus vraisemblable que le lycpoène agit en synergie avec d’autres composants de la tomate, parmi lesquels certains caroténoïdes. Du côté des suppléments, le sélénium et la vitamine E ont engrangé des résultats positifs, sans être totalement concluants : si leur utilité préventive ressort de certains travaux, l’intérêt d’un bénéfice lorsqu’un cancer à été diagnostiqué reste hypothétique.
Le calcium pourrait aussi apporter sa contribution, en appuyant l’effet antiprolifératif de la vitamine D. Les protéines de soja ont montré une aptitude à inhiber la croissance des cellules prostatiques cancéreuses. Enfin, le thé vert, connu pour sa richesse en certains flavonoïdes, pourraient également apporter sa contribution dans la mesure ou il semble capable d’induire l’apoptose des cellules prostatiques cancéreuses.
Prévenir… et guérir ?
Il y a donc de nombreux nutriments susceptibles d’influencer le développement de ce cancer. Mais au-delà des aspects purement préventifs, on peut se demander dans quelle mesure l’alimentation et, de façon plus large le mode de vie, peuvent jouer un rôle chez des personnes diagnostiquées pour un cancer de la prostate. Et si les hommes atteints d’un cancer de la prostate reçoivent souvent des conseils nutritionnels, l’impact de ces changements n’a pas encore été bien évalué. La tâche n’est pas aisée, d’une parte parce que la nature des modifications adoptées peut être très variable, d’autre part parce qu’il faut pouvoir discerner l’impact des modifications du style de vie de celles inhérentes aux différents traitements entrepris. Une équipe de San Francisco a cependant relevé le défi, en recrutant 93 hommes atteints d’un cancer de la prostate (diagnostic confirmé par biopsie), qui avaient choisi de ne pas suivre le traitement conventionnel (2).
Un régime « ultra-maigre » est-il équilibré ?
La réduction drastique des lipides étant au cœur du régime contre le cancer de la prostate, on peut s’interroger sur les conséquences d’une telle alimentation sur l’ensemble des apports nutritionnels. C’est l’exercice auquel se sont livrés des chercheurs en étudiant l’alimentation de 39 personnes à un stade précoce de cancer de la prostate, et qui avaient choisi d’attendre, tout en restant suivis de très près, avant d’entreprendre un traitement conventionnel (3). Avec l’appui d’un diététicien et d’un chef, ils ont adopté une alimentation ne comprenant que 10 % de l’énergie sous forme de lipides, complétée par une boisson fortifiée à base de poudre de protéines de soja. Sur base d’une anamnèse alimentaire de 3 jours, ils ont comparé l’apport nutritionnel aux valeurs de références. Il en ressort qu’une telle alimentation peut parfaitement être équilibrée, avec pour seule restriction un apport inadéquat en vitamine D. Les auteurs préconisent de ce fait un apport complémentaire en vitamine D, surtout pour les personnes qui ne bénéficient que d’une faible exposition solaire.
N.G. |
La « zen attitude »
Les candidats, qui affichaient des taux de PSA (Prostate Specific Antigen) entre 4 et 10 ng/ml et un score de Gleason inférieur à 7, ont été répartis en deux groupes : un groupe « intervention, l’autre « contrôle ». Dans le premier, il était demandé aux participants de changer radicalement leurs habitudes alimentaires et leur style de vie, dans le second, aucun changement n’était demandé.
Du côté de l’assiette, les changements consistaient à adopter une alimentation strictement végétarienne, essentiellement à base de fruits, légumes, céréales complètes et légumineuses. Ils incorporaient aussi du soja, et des suppléments en vitamines et minéraux leur étaient administrés. L’intervention consistait en outre à augmenter l’activité physique, mais de façon douce. Les participants devaient pratiquer régulièrement des séances d’exercices d’intensité modérée, du yoga ou de la méditation. Des séances de motivation en groupe étaient prévues une fois par semaine, pour augmenter la compliance aux recommandations.
Inverser la vapeur
L’évaluation de l’impact de ces changements a été effectuée après un an. Les investigateurs ont comparé les valeurs des taux de PSA à celles recensées au début de l’étude. Dans le groupe « changements », ce marqueur a régressé de 4 %, alors que dans le groupe « contrôle », il a poursuivi son ascension de 6 %. Les auteurs ont également mesuré, in vitro, l’aptitude du sérum à inhiber la croissance de lignées de cellules cancéreuses de la prostate (cellules LNCaP) : cette inhibition était environ 8 fois supérieure pour le groupe intervention que pour le groupe contrôle (respectivement 70 % versus 9 %). L’interprétation des données montre en outre que les changements observés sur les taux de PSA et sur les cellules LNCaP sont associés de façon significative au degré de modification de l’alimentation et du style de vie.
C’est donc la première fois qu’une étude humaine montre que l’on peut enrayer, voir même faire régresser la progression du cancer de la prostate par une combinaison de mesures englobant diététique et style de vie. Certes, il en faut encore d’autres, et dans ce cas précis, il faut prolonger le suivi des patients pour évaluer le véritable impact de ces modifications. Mais il apparaît de plus en plus clairement que les facteurs environnement peuvent peser lourdement sur le devenir d’un cancer. Et même avant que toute la lumière soit faite sur leur potentiel réel, se pose bien entendu la question de savoir comment arriver à modifier durablement et de façon aussi radicale son mode de vie…
Nicolas Guggenbühl
Diététicien Nutritionniste
(1) Sonn GA et al. Prostate Cancer Prostatic Dis. 2005 Aug 30.
(2) Ornish D et al. J Urol 2005;174(3) :1065-9.
(3) Dunn-mke SR et al. J Am Diet Assoc. 2005;105(9):1442-6 |