Par Nicolas Rousseau
" HEALTH & FOOD " numéro Spécial, Mai 2005
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Il y a près de 80 ans, plusieurs épidémies de maladies infectieuses intestinales frappaient sévèrement l’empire du soleil levant, … laissant souvent la médecine impuissante, puisque très peu d’énergie était alors concentrée à la prévention primaire. A cette époque, un certain Dr Shirota consacrait ses recherches aux bactéries lactiques de la flore intestinales, avec pour objectif de contribuer à renforcer l’organisme vis-à-vis des menaces infectieuses.. En 1933, il isole un microbe qu’il dénomme Lactobacillus casei Shirota, une bactérie qu’il incorpore deux années plus tard dans une boisson fermentée à base de lait, Yakult, de l’esperanto « yahurto » ou yaourt.
Le spectre du cancer
Bien que les maladies infectieuses aient longtemps pesé lourd sur la situation sanitaire du Japon, d’autres affections ont connu une véritable explosion. Comme l’explique Setsuko Kuwara, nutritionniste au National Cancer Center du Chuo Hospital de Tokyo, entre 1993 et 2000, l’incidence du cancer, et spécialement celle du cancer du côlon, a suivi une courbe exponentielle dans la population japonaise, alors que des maladies fréquentes comme l’AVC ou la tuberculose ont plutôt sensiblement baissé durant la même période. Cette escalade du cancer - mais aussi celle des maladies cardio-vasculaires - s’explique en partie par le vieillissement de la population (la proportion des plus de 60 ans est passée de 15 % en 1985 à 26% en 2005), mais aussi par des changements profonds dans les habitudes alimentaires des Japonais.
Phénomène récent : les femmes de la jeune génération travaillent. Elles n’ont plus le temps de préparer l’alimentation traditionnelle et se tournent vers les fast foods et les plats préparés. L’alimentation actuelle a donc tendance à s’occidentaliser, avec pour conséquence un apport excessif en graisses et en protéines, et un apport insuffisant en fibres (16,5 g par jour en moyenne, moins qu’en Belgique…).
L’obésité frappe désormais les hommes de plein fouet, dans toutes les tranches d’âge, avec une progression moyenne de 10 % du nombre d’individus affichant un BMI supérieur à 25 entre 1982 et 2002. Setsuko Kuwahara précise également que si les femmes sont de plus en plus maigres, les études anthropométriques soulignent cependant une augmentation du tissu adipeux et une diminution sensible de la masse maigre, probablement attribuée à un déclin important de l’activité physique.
F.O.S.H.U.
D’autres éléments sont à l’origine de la croissance phénoménale des probiotiques, mais aussi d’une multitude d’aliments fonctionnels, au Japon. Le développement récent des maladies occidentales est un premier facteur. Mais l’importance de la tranche d’âge des seniors actifs et la réforme médicale menée en 2003, tablant sur une augmentation de 20 à 30 % des soins de santé à la charge du patient, a motivé une demande pour une gestion de sa santé, et suscité l’intérêt pour des aliments susceptibles d’améliorer la santé. Le marché des FOSHU (Food Specified for Health Use) connaît une ascension fulgurante.
De quoi s’agit-il ? D’aliments fonctionnels répondant à une législation très stricte, établie en 1991. Le texte définit les critères d’obtention de la licence (qui supposent évidemment un dossier scientifique rigoureux), un cadre légal pour les allégations et prévoit un logo reconnaissable par le consommateur, attribué par le Ministère de la Santé. Le concept a été fortement encouragé par les autorités japonaises depuis plus de 10 ans, principalement pour réduire le coût exorbitant des soins de santé, éviter la confusion entre aliment et médicament et stimuler l’économie. A ce niveau, le Japon a donc plusieurs longueurs d’avance sur l’Union Européenne.
Le marché du FOSHU est assez diversifié. Il se répartit typiquement entre les soft-drinks riches en fibres, en polyphénols, en calcium, en isoflavones…les laitages probiotiques et/ou synbiotiques, principalement, mais encore les « sucreries » telles que chewing gum au xylitol et autres douceurs riches en fibres, les produits céréaliers riches en fibres et les plats préparés. Les principales allégations se focalisent sur la santé intestinale, la tolérance au glucose (le diabète concerne aujourd’hui près de 8 millions de Japonais, soit 7 % de la population) et la pression artérielle (en raison de l’extrême richesse de l’alimentation en sel).
Recherches récentes
Pour l’instant, l’essentiel des recherches probiotiques se focalise sur le cancer, comme en témoignent les commentaires du Prof. Masayuki Kimura du Yakult Central Institute for Microbiological Research de Tokyo. Des résultats spectaculaires ont déjà été obtenus sur le cancer de la vessie avec la souche Shirota, qui diminuerait de moitié le risque de récurrence de ce type de cancer après 2 ans. Le risque de voir se compliquer une polypose intestinale en cancer du côlon est également réduit de près de 30 % par l’administration à long terme de la bactérie. Pour le spécialiste, cet effet se mesurerait singulièrement par une stimulation spécifique de la souche Shirota sur l’activité des Natural Killers Cells.
Les probiotiques exercent également des activités positives dans les maladies inflammatoires de l’intestin. Des essais conduits avec plusieurs souches probiotiques utilisées en combinaison ont ainsi révélé des effets prometteurs sur la rémission et les récurrences de la rectocolite ulcérohémorragique. Et des synbiotiques (pro- et prébiotique) sont administrés avec succès en traitement depuis quelques années en néonatologie chez des nourrissons atteints de maladies intestinales rares comme l’atrésie intestinale, la maladie de Hirschprung ou le Short Bowel Syndrome.
Depuis un peu moins de deux ans, le marché nippon des probiotiques s’est enrichi d’un laitage à boire qui utilise les effets synergiques du Lactobacillus casei Shirota et du Lactococcus lactis pour hydrolyser des peptides du lait en acide gamma-amminobutirique (ou GABA). Cet acide aminé (10 mg par berlingot, soit une quantité insuffisante pour exercer sa fonction de neurotransmetteur au niveau cérébral) exerce un effet hypotenseur léger (- 17 mmHg pour la pression systolique et - 7 mmHg pour la pression diastolique) chez les personnes modérément hypertendues. Modeste mais intéressant tout de même dans la mesure où les études épidémiologiques montrent qu’une diminution de la pression artérielle de 5 mmHG diminue déjà le risque cardio-vasculaire de 10%… De quoi atténuer légèrement les effets néfastes du sel dans l’alimentation des Japonais.
Nicolas Rousseau
Diététicien nutritionniste
* D’après une conférence de presse organisée par Yakult à Tokyo, Japon, du 9 au 15 avril 2005
Référence :
Inoue K et al. Blood-pressure-lowering effect of a novel fermented milk containing gamma-aminobutyric acid (GABA) in mild hypertensives. Eur J Clin Nutr. 2003 Mar;57(3):490-5. |