Par Jean Andris
" HEALTH & FOOD " numéro Spécial, Mai 2005
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Il y a quelques mois, la Vlaamse Verniging voor Klinische Voeding en Metabolisme se réunissait autour du thème « Probiotica en Prebiotioca ». On y a entendu de brillants orateurs parler des bactéries intestinales et de leurs nutriments, de leur effet sur le tube digestif sain et malade. Parmi eux le Dr B. Pot, de l’Institut Pasteur de Lille, a passé en revue les multiples effets des probiotiques, des petites bestioles très actives...
Influence sur l’écosystème
Les probiotiques se retrouvent dans de nombreuses préparations alimentaires, principalement du type lait fermenté. La première allusion à leurs effets bénéfiques remonte au début du XXe Siècle, avec Metchnikoff, mais ce n’est qu’au cours des trente dernières années que les connaissances se sont accumulées sur la question. Mais se pose avant tout la question de la persistance des lactobacilles importés dans le tube digestif par l’alimentation. Cette persistance varie selon la souche considérée. Elle dépend à la fois des caractéristiques de la surface bactérienne et de celles du mucus, mais aussi de la riposte immunitaire locale et de la motricité intestinale, notamment.
Lorsque leur persistance est réelle, les bactéries participent à un concept appelé « exclusion compétitive ». Cela signifie que l’adhérence d’une souche à la paroi digestive améliore la colonisation par cette souche. Mais d’autres conséquences s’ensuivent : blocage de certains récepteurs présents sur les entérocytes, compétition pour l’utilisation de certains nutriments, empêchement stérique de l’accès de certaines autres souches ou encore de certains nutriments à la paroi…
Les bactéries sont également connues pour sécréter des substances à activité bactéricide contre d’autres espèces. Elles modulent enfin la réaction immunitaire de la paroi. Toutes ces actions ont une influence sur l’écosystème local.
De vraies mini-usines
Les effets métaboliques des probiotiques sont nombreux. Parmi les enzymes que ces espèces microbiennes libèrent, la lactase est certainement le plus souvent citée. Elle ne réduit pas seulement le lactose présent dans les aliments avant leur ingestion : l’activité d’hydrolyse du disaccharide continue dans le tube digestif, ce qui diminue la quantité du sucre présente dans les selles et l’inconfort qu’il peut engendrer.
Différentes études ont également démontré la production de catalase, de désaminases, d’une déshydroxylase pour les acides biliaires, de protéases et de peptidases et la liste n’est pas limitative. Il semble y avoir aussi, malheureusement, des enzymes impliquées dans la formation de substances génotoxiques et mutagènes.
L’activité bactérienne se caractérise également par la production d’acides gras à courte chaîne, surtout dans le gros intestin. Après leur rapide absorption, il contribuent à fournir à l’organisme une quantité de calories de l’ordre de 240 kcal par jour. Par ailleurs, parmi ces acides gras à courte chaîne produits dans le tube digestif, on retrouve l’acétate est utilisé par le cerveau, le cœur et les tissus périphériques. Il semble bien, d’après des études animales, que le propionate métabolisé de cette manière par le foie, exerce des effets hypocholestérolémiants. Quant au butyrate, outre son effet trophique sur la muqueuse, on pense qu’il pourrait bien jouer un rôle protecteur contre le cancer du côlon.
Du bon et du moins bon
Les bactéries du gros intestin produisent des provitamines. On estime notamment que 50% environ de la vitamine K nécessaire à l’organisme sont produits par les bactéries présentes dans le côlon. Mais il y a aussi la synthèse d’acide nicotinique, de folates et de thiamine en quantités appréciables. Certes, cette production ne concerne pas toutes les souches et toutes celles qui en produisent ne les excrètent pas nécessairement.
L’activité de déconjugaison des composés de la bile par les bactéries est un effet moins favorable puisque la conjugaison de certains composés avait pour effet de les rendre moins toxiques ou non toxiques. Néanmoins, les études montrent que les probiotiques, en particulier les lactobacilles, ont une activité antimutagène importante.
Enfin, l’activité protéolytique liée aux enzymes bactériennes (et digestives) aboutit à la formation d’ammonium, qui est toxique pour le système nerveux central. Des indoles et phénols, ainsi que d’autres composés toxiques peuvent être dégagés par ces bactéries. Si ces substances étaient fabriquées et absorbées en grandes quantités, il y aurait, risque d’auto-intoxication, mais cela ne se rencontre que dans des situations anormales.
Last but not least
Il faut enfin envisager les fonctions immunomodulatrices de la flore bactérienne intestinale. Cette activité est en pleine exploration et régulièrement de nouveaux aspects en sont découverts. On sait déjà depuis pas mal de temps que la sécrétion d’IgA est augmentée par les probiotiques. Ils stimulent l’activité phagocytaire au niveau de la muqueuse digestive et la prolifération des cellules lymphocytaires intra-épithéliales.
Ces effets passent par la production accrue de cytokines, ainsi que cela a été suggéré à la suite d’expérimentations in vitro. Il semblerait cependant que toutes les souches de probiotiques ne soient pas égales à ce point de vue, ce qui, impose un choix judicieux de la souche bactérienne si c’est cette fonction que l’on veut renforcer. Les récepteurs nucléaires PPAR-γ seraient également stimulés. Il est possible que cette stimulation freine la production de certaines cytokines pro-inflammatoires.
Des études conduites in vitro suggèrent que les micro-organismes probiotiques pourraient être capables de rééquilibrer le profil lymphocytaire Th1-Th2, agissant ainsi sur la balance entre tolérance et défense immunitaire.
On voit donc que toutes ces interactions sont complexes et nous n’en sommes probablement qu’au début de leur découverte et de leur compréhension. L’immunité et l’inflammation, elles-mêmes complexes, sont de mieux en mieux connues. L’interaction des probiotiques avec ces deux systèmes ouvrira sans doute des portes à de nouvelles utilisations, mais en attendant, on manque encore de marqueurs spécifiques permettant de bien évaluer leur portée.
Dr Jean Andris |