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Diété-Toc N°50
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Le crudivorisme sur le grill

La consommation exclusive d’aliments crus fait partie de ces îlots de résistance face à une modernisation des systèmes de production alimentaire. Mais la suprématie des mets crus sur ceux qui sont cuits ne constitue pas une réalité universelle.

Par Nicolas Guggenbühl

" HEALTH & FOOD " numéro 50,
Décembre-Janvier 2002

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« Mangez cru, sinon vous êtes cuit ! ». Voilà un des leitmotivs pour bon nombre d'adeptes du crudivorisme, de l'instinctothérapie et autres alimentations dites « hypotoxiques » qui fustigent la cuisson. Sans aborder l'aspect hygiénique (la cuisson offre des garanties sanitaires supplémentaires), la condamnation de la cuisson peut certes trouver quelques alibis dans la science. Mais ce n'est pas toujours le cas…

La toxicité en question

Parmi les raisons invoquées par les hostiles au cuit, certaines présentent un caractère pertinent, même si elles ne justifient en rien l'élimination du mot « cuisson » du vocabulaire de l'alimentation équilibrée. Ainsi, il est indéniable que les nutriments thermosensibles tels que la vitamine C se voient altérés lors de la cuisson. Plusieurs vitamines et minéraux subissent des pertes par dissolution lors de la cuisson à l'eau. Les hautes températures peuvent aussi générer une multitude de composés qui confèrent certes couleurs et arômes aux aliments (réactions de caramélisation, réaction de Maillard etc.) mais qui peuvent aussi présenter un potentiel cancérigène (amines aromatiques polycycliques, produits d'oxydations divers…). Le danger semble cependant plus imputable à la surcuisson, voire à la carbonisation des aliments, qu'à la cuisson en elle-même.

Un bouclier affaibli

La cuisson peut aussi réduire le potentiel anti-cancérigène de certains aliments. C'est par exemple le cas des isothiocyanates des crucifères, qui induisent les enzymes de détoxication de phase 2 protégeant l'animal de laboratoire de certains cancers provoqués chimiquement. Cet effet a d'ailleurs récemment trouvé confirmation sur des lignées cellulaires prostatiques humaines (1). Les isothiocyanates sont partiellement formés grâce à l'action d'une enzyme thermolabile, la myrosinase, qui hydrolyse des glucosinolates. En altérant cette enzyme, la cuisson réduit donc la formation de composés potentiellement intéressants. La biodisponibilité des isothiocyanates du brocoli mesurée chez l'homme est trois fois plus faible après cuisson du végétal (2). Notons cependant que s'ils sont consommés crus, la portion de brocoli ne sera pas aussi importante que celle que l'on mangera après cuisson !

Une théorie friable

Là où les arguments deviennent nettement plus boiteux, c'est lorsqu'il s'agit des fameuses fermentations qui seraient favorisées par la consommation de racines (carottes…), fruits et oléagineux cuits. Une ineptie lorsque l'on sait que la cuisson des végétaux a plutôt tendance à influencer favorablement la tolérance digestive, notamment en améliorant le degré d'hydrolyse des glucides complexes (limitant ainsi la quantité d'amidon résistant atteignant le côlon pour y subir une fermentation), en inactivant certains facteurs anti-nutritionnels (comme le facteur anti-trypsique du blanc d'œuf cru) ou encore en augmentant le taux d'efficacité protéique (PER ou Protein efficieny Ratio) des légumineuses (3).

Quand la cuisson protège !

Enfin, plusieurs acquisitions récentes mettent encore un peu plus à mal la soi-disant supériorité des aliments crus. Ainsi, les caroténoïdes, pigments qui confèrent non seulement leurs couleurs mais aussi des propriétés anti-oxydantes aux légumes et fruits, retiennent de plus en plus l'attention dans le cadre de la prévention des grandes affections que sont le cancer et les maladies cardio-vasculaires. Pour certains d'entre eux, comme le lycopène retrouvé dans la tomate, il apparaît clairement que la biodisponiblité est améliorée par la cuisson. Mais il n'est pas le seul : l'alpha-carotène et la lutéine affichent une meilleure biodisponibilité lorsqu'ils sont consommés sous forme de jus de légumes ayant subi un traitement thermique qu'après la consommation des mêmes légumes entiers, crus ou cuits (4).

Enfin, pour en revenir aux choux, leurs vertus anti-cancérigènes semblent aussi pouvoir bénéficier de la cuisson (indépendamment du fait que cela permet plus aisément de les consommer). Ainsi, des travaux récents ont permis de montrer, in vitro, que le chou de Bruxelles et sa sinigrine (un glucosinolate), peuvent améliorer la résistance de l'ADN vis-à-vis de l'oxydation induite par H2O2, uniquement après cuisson, mais pas lorsqu'il est cru (5).

Bref, les données disponibles nous indiquent que l'intérêt des aliments crus est d'autant plus grand… que ces derniers cohabitent dans l'alimentation avec des aliments cuits.

Nicolas Guggenbühl

Références
(1 Brooks JD et al. Cancer Epidemiol Biomarker Prev 2001;10(9):949-54.
(2) Conoway CC et al. Nutr Cancer 2000;(2):168-78.
(3) Khalil NM. Nahrung 2001;45(4):246-50.
(4) McEliot AJ et al. Canc Epidemiol Biomark Prev 1999;8 :227-231.
(5) Zhu CY et al. Food Chem Toxicol 2001;39
(12):1197-7.

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