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Diété-Toc N°62
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Le lycopène rougit devant la tomate

Une étude suggère que l’effet " anticancérigène " de la tomate n’est pas dû à son pigment rouge, le lycopène, mais au fruits dans son entièreté

Par Nicolas Guggenbühl

" HEALTH & FOOD " numéro 62,
Décembre 2003

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Le lycopène a tout pour plaire : c'est un antioxydant puissant, il est naturel, d'origine végétale et esthétique, car c'est le pigment qui confère à la tomate sa belle couleur rouge. Même la science est sous le charme, depuis que de nombreuses études ont rapporté des associations intéressantes entre la consommation de lycopène et le risque plus faible de certaines pathologies, notamment le cancer de la prostate. Et ce n'est pas tout : in vitro, le lycopène inhibe la croissance de lignées cellulaires prostatiques humaines et, in vivo, il améliore certains marqueurs biologiques du stress oxydatif.

Il n'en fallait pas plus pour qu'après la tomate, ce soit le lycopène qui se retrouve en boîte ! Il ne s'agit pas de conserves, mais de boîtes de suppléments de lycopène qui se déclinent par dizaines. Elle sont proposées à la vente et trouvent grâce auprès d'acquéreurs soucieux de leur peau, de leur teint, de leur âge, de leurs vaisseaux, de leur prostate…

Acteur ou simple marqueur ?

Pourtant, jusqu'à présent, aucune donnée n'a permis d'établir un lien de cause à effet entre le lycopène et le cancer de la prostate. Autrement dit, on ne sait toujours pas si les adeptes de la tomate et de ses produits dérivés (la biodisponibilité du lycopène est accrue par la cuisson, le traitement mécanique et la présence de lipides) font moins de cancer de la prostate grâce au lycopène, ou si la présence du lycopène dans les tissus n'est que le reflet d'autres apports bénéfiques.

C'est précisément pour apporter une réponse à cette question que Boileau et al. ont effectué une étude contrôlée auprès d'un groupe de 194 rongeurs avec un cancer de la prostate induit chimiquement. Un groupe a été nourri avec de la poudre de tomate entière (contenant 13 mg de lycopène par kilo de nourriture), un autre avec des granules de lycopène (161 mg de lycopène/ kg de nourriture), un troisième servant de contrôle. Dans chaque groupe, une partie des rats à en outre été soumise à une restriction calorique de 20 %.

Effet " poudre de tomate "

Le moins que l'on puisse dire, c'est que les résultats bousculent la théorie du lycopène : par rapport au groupe contrôle, il y significativement moins d'animaux qui meurent dans le groupe " poudre de tomate entière " (risque de mortalité réduit de 26 %), alors qu'aucune différence significative n'apparaît dans le groupe ayant reçu le lycopène seul. A noter que la restriction énergétique provoque une baisse de 32 % de la mortalité par cancer, et ce, indépendamment de l'effet " poudre de tomate ".

Cette étude, somme toute modeste en regard des moyens déjà mis en œuvre pour étudier les effets de suppléments d'antioxydants, est lourde de sens. Elle montre bien que si la consommation de tomate est associée à un risque plus faible de cancer de la prostate, ce n'est vraisemblablement pas en raison du seul lycopène, mais bien de l'ensemble du légume fruit.

L'atout entier

Force est de constater que d'autres composés interviennent dans l'effet protecteur de la tomate. Peut-être s'agit-il d'une palette harmonieuse de caroténoïdes : la tomate contient 6 des 10 caroténoïdes qui s'accumulent le plus dans le tissu prostatique. Peut-être s'agit aussi d'autres substances dont on ne connaît pas encore l'existence. Toujours est-il que la complexité naturelle du végétal semble former un tout et que la piste qui consiste à extraire et concentrer l'un ou l'autre de ses constituants peut être comparée à un orchestre qui joue harmonieusement et dont on cherche à reproduire la mélodie avec un seul instrument en jouant trop fort.

Va-t-on reproduire avec le lycopène les mêmes erreurs que naguère, où du bêta-carotène administré à haute dose s'est avéré non seulement inefficace, mais dangereux ?

Nicolas Guggenbühl

Réf. : Boileau TW et al. J Natl Cancer Inst 2003;95:1578-86 et Gann PH, J Natl Cancer Inst 2003;95:1563-4.

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