Par Nicolas Guggenbühl
" HEALTH & FOOD " numéro 68, Décembre 2004
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Si le cartilage de requin connaît une brillante carrière dans les « espoirs thérapeutiques », c’est qu’il a tout de même fait valoir certains arguments. Cela fait près de vingt ans que Lee et Langer ont rapporté, dans la revue Science, que ce cartilage contenait une substance inhibant l’angiogenèse, c’est-à-dire le développement d’un réseau de nouveaux vaisseaux chargés d’irriguer une tumeur cancéreuse. Ils suggéraient déjà que cela expliquait la rareté des néoplasmes chez les requins. Et c’est bien là le principal argument marketing repris sur de nombreux produits : les requins ne connaissent pas le cancer, une allégation que l’ont sait fausse, depuis que l’on a découvert plusieurs cas de cancers chez le requin, y compris de cancer du cartilage (Cf. Health and Food nº 40, 2000).
Internet et propagande
L’Internet constitue une véritable opportunité pour que la pseudoscience du cartilage de requin connaisse une croissance exponentielle : sur le moteur de recherche Google, les termes « shark cartilage » renvoient à pas moins de 200 000 liens, et l’achat est à portée de « clic ».
Ce commerce est dénoncé dans une nouvelle publication, qui tire la sonnette d’alarme. Gary K Ostrander, professeur et chercheur au département de Biologie et Médecine comparative à l’Université John Hopkins, a retracé la popularité du cartilage cru de requin en tant que traitement du cancer et de mesure préventive. Il s’insurge devant le fait que l’on continue à faire croire aux gens que les requins ne font pas de cancer, alors que plus de 40 cas de cancers ont été recensés. Cette croyance est nourrie et relayée par une livre de William Lane, paru en 1992 et intitulé « Les requins n’ont pas le cancer ». La chaîne CBS en a fait la publicité en y consacrant, en 1993, une émission de 60 minutes.
Extrapolations hasardeuses
Le biologiste pointe aussi du doigt ce qu’il appelle une « surextension » de certaines expérimentations dans laquelle la substance semble inhiber la formation et la croissance des nouveaux vaisseaux alimentant en oxygène et en nutriments les tumeurs malignes. « Il n’est pas exclu que certains composants du cartilage, de requin ou non, hautement purifiés offrent certains bénéfices dans le traitement du cancer chez l’homme. Mais encore faut-il isoler ces composés et trouver une manière de les administrer pour qu’ils atteignent le site de la tumeur », explique le chercheur. Or, les adeptes de cette thérapie semblent ignorer ces barrières, et suggèrent que l’administration d’extraits de cartilage cru de requin par voie orale ou rectale peut guérir les cancers.
Pour Ostrander, cette approche ne repose sur aucune base scientifique. Il précise qu’il faut souligner que cela fait plus de 10 ans que le cartilage de requins fait l’objet d’évaluations, et qu’il n’y a à ce jour pas une seule étude clinique contrôlée qui permettent d’établir que cela fonctionne comme agent anticancérigène. Et pourtant, de nombreuses personnes placent leurs espoirs dans cette poudre, parfois même au détriment de traitement d’efficacité avérée. Et dans les océans, la population des requins décline…
Nicolas Guggenbühl
Ref :
Cancer Research, 1er décembre 2004. |