C’est une étonnante histoire, celle de la Coenzyme Q10, découverte il y a près d’un demi-siècle, qui fait les délices des biochimistes et qui est si peu connue de la plupart des cliniciens. La plupart mais pas tous car il y a quand même pas mal d’années que certains d’entre eux, qu’ils soient cardiologues, diabétologues ou nutritionnistes, s’y intéressent de près et l’utilisent dans différents contextes. Et les études cliniques sur lesquelles ils se basent ne manquent pas d’intérêt.
Cette petite molécule s’appelle ubiquinone parce qu’on la retrouve partout dans l’organisme. Le mot « ubiquinone » désigne la forme oxydée, tandis que le terme « ubiquinol » s’adresse à la forme réduite. Elle est produite de manière endogène à partir de la phénylalanine, de la tyrosine et de la méthionine mais on en trouve aussi dans les aliments. On la retrouve dans les membranes cellulaires et dans les membranes des mitochondries. Ses fonctions sont multiples. C’est un transporteur d’électrons dans la chaîne respiratoire des mitochondries, mais elle sert aussi au transport d’électrons dans la membrane plasmique et dans les lysosomes. C’est un anti-oxydant mais en plus de cela, elle règle la perméabilité des pores transitoires de la membrane mitochondriale. C’est un activateur du découplage mitochondrial des protéines et enfin, elle intervient dans la régulation des propriétés physico-chimiques des membranes.
La teneur des tissus en coenzyme Q10 varie selon l’organe considéré, l’âge de la personne et son état de santé. Ce sont le cœur, les reins et le foie qui en contiennent le plus chez le sujet jeune. Mais avec l’âge, sa teneur décroît plus vite dans le cœur que dans les deux autres organes, si bien que notre pompe vitale se retrouve en deuxième position d’une troïka qui reste en tête mais avec des teneurs nettement réduites par rapport à celles que l’on trouve chez des personnes plus jeunes. A 40 ans, les taux rencontrés dans le cœur ne sont déjà plus que 68% de ceux de 20 ans et à 80 ans, ils tombent à 43%. Encore faut-il que ce cœur soit en bonne santé car en cas d’insuffisance cardiaque, la teneur en CoQ10 n’est plus que de 0,37 mcg/g de tissu cardiaque sec pour une insuffisance de classe I ou II de la New York Heart Association, contre 0,42 dans un cœur normal/ Et en cas d’insuffisance de classe III ou IV, elle tombe à 0,28 alors que la normale est de 0,42. Il est à la fois logique que ce soit un organe comme le cœur qui en contienne le plus, puisqu’il est grand consommateur d’énergie, et que lorsqu’il est en souffrance, on le retrouve en état de déficit en coenzyme Q10. Mais des suppléments peuvent être apportés par voie orale.
Plusieurs essais cliniques ont eu lieu dans ce sens et les méta-analyses concluent que l’apport de suppléments aux insuffisants cardiaques améliore une série de paramètres, tels que l’index cardiaque, fraction la d’éjection, le volume télédiastolique, la tolérance à l’effort et même le grade NYHA de l’affection. En effet, une étude menée chez 424 patients atteints d’insuffisance cardiaque traités par CoQ10 (300 mg/j) pendant 7 jours avant chirurgie cardiaque, a montré que le tissu prélevé pendant l’intervention au niveau de l’oreillette droite avait une teneur en CoQ10 multipliée par plus de 3 par rapport à celui des patients qui avaient reçu un placebo. Et la production d’ATP était presque doublée.
La coenzyme Q10 exerce également un effet protecteur sur le muscle au cours d’un traitement hypocholestérolémiant par statine. Les statines bloquent non seulement la production de cholestérol mais aussi celle de CoQ10, qui partage avec le cholestérol des précurseurs communs. Il a bien été montré que le taux sérique de la coenzyme s’abaisse au cours d’un traitement par statine et remonte suite à l‘arrêt de cette dernière. Les effets secondaires musculaires des statines consistent généralement en de simples myalgies mais peuvent, dans des cas plus rates, aller jusqu’à la myolyse. La supplémentation en CoQ10 a réduit significativement les symptômes musculaires au cours de la prise de statines. Les doses habituelles en supplémentation sont de l’ordre de 50 à 100 mg/j. En cas de pathologie, on a pu aller jusqu’à 300 mg et plus, sans altérer la production endogène et sans effets secondaires.