Il est loin le temps où on croyait que la dépression était un phénomène purement mental. On décrit aujourd’hui toute une série d’anomalies biochimiques du cerveau, sans toujours bien savoir s’il s’agit de causes ou de conséquences. Mais l’intérêt de la connaissance de ces anomalies est qu’on peut tenter de s’en servir comme cibles thérapeutiques. Cela nous a tout de même valu quelques beaux succès et les médicaments de la dépression existent, même s’ils ne résolvent pas tous les cas.
Et si des anomalies biochimiques sont présentes au moment de la dépression, on peut se demander si elles n’ont pas des retentissements sur d’autres systèmes que ceux de l’humeur, celui de la satiété et de la faim par exemple ou encore celui des comportements alimentaires. On peut aussi s’interroger sur l’impact éventuel de certains modes alimentaires sur la survenue et le déroulement de la dépression, tout comme sur leur interaction plus ou moins marquée avec les traitements pharmacologiques.
Quelques-unes de ces questions sont venues sur le tapis au cours du récent congrès de l’European College of Neuropsychopharmacology, qui s’est tenu à Paris au début du mois de septembre dernier. Elles ont d’autant plus d’intérêt que certaines théories – non sans fondements – tendent à voir la dépression comme un état inflammatoire. Toute une série de cytokines voient en effet leur taux augmenter dans cet état morbide. C’est le cas non seulement de la CRP et de l’IL-6, mais encore du TNF alpha, qui est même plus élevé en cas de récidive que dans le premier épisode. On n’oublie pas que dans les premiers temps de sa découverte, le TNF portait un autre nom: celui de cachectine, qui exprime très bien ses effets sur la masse tissulaire et sur le niveau de nutrition de certains malades. On parle aussi d’un rôle du stress oxydatif, qui est lui aussi accru dans la dépression. En voilà encore un qui est influencé notamment par l’alimentation.
Et l’inverse est vrai: sous l’effet des antidépresseurs, on voit baisser les taux des cytokines pro-inflammatoires et augmenter celui des cytokines anti-inflammatoires, tandis que l’apoptose diminue et que la neurogénèse est stimulée.
Tenant compte de tout cela, on ne sera pas étonné d’apprendre qu’un certain nombre de facteurs ayant un rapport plus ou moins lointain peuvent valoir comme médiateurs du risque de dépression. Il faut entendre par là, non pas qu’il s’agisse de facteurs étiologiques, mais sans doute en quelque sorte, de marqueurs du risque de dépression ou de situations fréquemment connexes à ce risque. Ils ne sont pas les seuls: on doit ranger comme médiateurs de risque, à côté de ceux qui ont un rapport avec l’alimentation, d’autres situations comme le tabagisme ou l’exposition répétée à des événements de vie éprouvants.
Mais pour en revenir aux aspects nutritionnels, on peut d’abord citer la qualité globale de l’alimentation au regard d’une alimentation équilibrée. Une étude réalisée chez un groupe de femmes a montré que si on groupe les patientes par quintiles en fonction de leur score de qualité alimentaire, on voit que plus cette qualité est médiocre plus le score de dépression et d’anxiété est élevé. Les auteurs attirent néanmoins dans leur discussion l’attention sur le fait que leur constat est à confirmer et que la relation causale n’est pas établie dans l’état actuel des connaissances.
L’excès de poids est également en jeu mais paradoxalement, une malnutrition précoce significative dans la première année de la vie peut aussi être concernée. Elle contribue de manière indépendante au risque de dépression pendant l’enfance ou l’adolescence et cette relation n’est pas influencée par une éventuelle dépression de la mère. Enfin, certaines études évoquent un rôle pour la vitamine D, qui n’en finit pas ces dernières années de se découvrir de nouvelles vocations. Des récepteurs de la vitamine D ont été mis en évidence dans le cerveau et récemment, une étude américaine a montré que toute une partie de la population dans la tranche des 19-35 ans (pauvres, femmes, noirs, citadins, habitants de certaines régions, obèses, etc.) et le groupe des individus en dépression montraient une prévalence de la déficience en vitamine D supérieure à celle du reste de la population. Bien entendu, cela ne signifie pas qu’il y a relation de cause à effet mais la question mériterait d’être explorée.
Enfin, comme dans beaucoup de situations, on ne peut séparer l’activité physique de la nutrition: ici encore c’est le cas. Plus l’activité physique pendant l’enfance s’est avérée faible, plus le risque de dépression à l’âge adulte semble prendre de l’importance. On retrouve donc une sorte de couplage entre alimentation et activité physique. Mais cela, les diététiciens le savent depuis longtemps. Par contre, on ne parle pas encore de diétothérapie dans la dépression.
Références:
Berk M. Impact of depressive episodes on the brain and mind: consequences for treatment. Conférence donnée dans le cadre d’un symposium organisé par Eli Lilly à l’occasion du Congrès de l’European College of Neuropsychopharmacology (Paris, 29 août- 3 septembre 2011).
Galler JR, Bryce CP, Waber D, Early childhood malnutrition predicts depressive symptoms at ages 11-17. J Child Psychol Psychiatry. 2010; 51(7): 789-98.
Ganji V, Milone C, Cody M et al. Serum vitamin D concentrations are related to depression in young adult US population: the Third National Health and Nutrition Examination Survey. International Archives of Medicine 2010; 3: 29.http://www.intarchmed.com/content/3/1/29
Jacka FN, Pasco JA, Mykletun A et al. Association of Western and Traditional Diets With Depression and Anxiety in Women. Am J Psychiatry 2010; 167: 1–7.