Par Nicolas Rousseau
" HEALTH & FOOD " numéro 50,
Janvier 2002
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Rares sont les domaines qui, à l’instar de l’alimentation et de la diététique, font l’objet de théories les plus diverses pour convoiter un objectif commun : la santé. Parmi les phénomènes qui prennent assurément de l’ampleur sous nos latitudes, il y a le courant « anti-lait » dont les fondements relèvent plus de la philosophie que de la science. Des phrases telles que « le lait est conçu pour le veau, pas pour l’homme », « l’homme est le seul mammifère à consommer du lait à l’âge adulte », « plus des trois-quarts de l’humanité ne consomme pas de produits laitiers »… sont devenues les porte-drapeaux d’une culture anti-lait qui n’est pas dépourvue de conséquences : des enfants en pleine croissance se voient interdire tout produit laitier pour cause « d’allergie », des femmes adeptes des régimes « ventre plat » se voient déconseiller tout aliment susceptible de provoquer la moindre fermentation intestinale etc. Résultat : en se privant d’une source exceptionnelle de calcium et de vitamine D, l’ostéoporose, un des grands défis nutritionnels dans nos populations vieillissantes, pointe encore un peu plus le bout du nez.
Sur les traces du lactose
Bien que l’allergie aux protéines de lait de vache soit monnaie courante lors des premiers mois de la vie, la plupart des troubles inhérents à la consommation de lait sont à rattacher à l’intolérance au lactose, c’est-à-dire la maldigestion du sucre du lait. Le diagnostic est posé par le « Breath Test », basé sur le suivit de la quantité d’hydrogène expiré avant et après l’ingestion de 10 g de lactose. L’importance des symptômes gastro-intestinaux qui y sont associés dépend du degré d’intolérance : elle peut se limiter à de simples ballonnements mais aussi provoquer de fortes diarrhées osmotiques, des douleurs et autres crampes abdominales. Ce qui veut dire que les mesures à prendre doivent, elles aussi, tenir compte de l’importance de cette intolérance : d’un simple (auto-)contrôle de la quantité de produits laitiers à la suppression de toute trace de lactose, y compris dans des denrées qui n’évoquent pas la présence de ce disaccharide (fonds de sauces, potages, charcuteries…) et de nombreux médicaments (environ un sur cinq) utilisant le lactose comme excipient.
Les régimes « ventre plat »
Les régimes « ventre plat » font fureur dans la presse féminine : rien que le nom évoque la promesse d'une apparence très prisée. Leur particularité ? Ils sont censés s'attaquer aux rondeurs sans viser la graisse mais…les gaz ! Ils consistent donc à supprimer toute substance susceptible de se prêter à la fermentation intestinale, ce qui conduit à supprimer bon nombre de denrées telles que produits laitiers, légumineuses, féculents, certains légumes et fruits… autant de denrées méritant pourtant une place dans l'alimentation, y compris lorsque l'on souhaite perdre du ventre.
Pareils régimes, qui se justifient dans des situations particulières (pathologies intestinales) limitent les substrats permettant à la flore colique de se développer. Et compte tenu de l'importance croissante accordée à la flore et aux prébiotiques, ces ingrédients favorisant le développement de bactéries considérées comme bénéfiques, on peut se demander si ces régimes sont compatibles avec un état de santé optimal, voire la prévention de certains cancers.
Ainsi, une étude prospective menée récemment en Finlande auprès de quelque 10 000 hommes et femmes rapporte l'existence d'une association inverse entre la consommation de lait et de produits laitiers et l'incidence du cancer du côlon (1). L'analyse plus fine montre une relation similaire et indépendante pour l'apport en lactose, le risque relatif pour le quartile correspondant à l'apport le plus élevé en lactose est 0,31(IC 95 %, 0,08-1,15). Par contre, ni l'apport en calcium, ni celui en vitamine D n'étaient liés à la survenue de l'affection. Des résultats qui permettent de considérer que la présence de lactose dans le côlon ne présente pas que des inconvénients… |
Des mesures alternatives
La traque du lactose doit donc être menée avec discernement pour ne pas compromettre la couverture – déjà très juste – des apports recommandés en calcium. La plupart des personnes intolérantes supportent l’équivalent d’un verre de lait (soit 12 g de lactose), de préférence au cours du repas. Notons que c’est en continuant à consommer du lactose que l’on peut préserver une certaine tolérance, notamment en raison du maintien de l’activité de la lactase et du métabolisme colique du disaccharide ayant échappé à l’assimilation intestinale.
Les yaourts et autres laits fermentés sont généralement bien tolérés grâce à la lactase de leurs bactéries. Les produits à base de soja (boissons, desserts, crème…) sont naturellement dépourvus de lactose et peuvent se substituer à bon nombre de produits laitiers, pour autant qu’ils soient enrichis en calcium. La lactase exogène peut également être exploitée : elle permet de maintenir la consommation de produits laitiers, limitant ainsi les remaniements profonds des habitudes (et parfois des « sacrifices ») alimentaires.
Les aliments riches en calcium tels que les eaux calciques (min 150 mg/Ca par litre), ceux enrichis en calcium (jus, produits céréaliers…) ainsi que les suppléments calciques peuvent être utilisés pour garder les apports calciques au beau fixe. Enfin il existe dans le commerce du lait délactosé dans lequel le lactose a été hydrolysé en ses deux constituants, le glucose et le galactose.
Ces différentes mesures ne doivent pas être rangées dans le même panier que d’autres « remèdes » prétextant qu’il suffit de manger beaucoup de persil ou de réduire en poudre la coquille d’un œuf pour remplacer le calcium perdu par la suppression des produits laitiers.
Nicolas Rousseau
Diététicien Nutritionniste
(1) Jarvienen R et al. Prospective study on milk products, calcium and cancers of the colon and rectum. Eur J Clin Nutr 2001, nov ;55(11):1000-7.
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