Par Nicolas Rousseau
" HEALTH & FOOD " numéro 52,
Mai 2002
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Rien ne nous différencie génétiquement de notre ancêtre chasseur-cueilleur. Pourtant, même s’il vivait moins longtemps que l’homme moderne, l’homme de Cro-Magnon ne serait probablement jamais décédé des suites de maladies cardiovasculaires…
Oméga 3 : l’alpha et l’oméga
En effet, on sait aujourd’hui que l’alimentation de notre arrière, arrière... grand-père privilégiait les « bonnes graisses » au point d’établir un équilibre entre les acides gras oméga 6 et les acides gras oméga 3. Dans notre pays comme dans bien d’autres, cet équilibre a été rompu depuis des générations. Actuellement voisin de 10 (1), le ratio oméga 6/oméga 3 est en partie lié à l’engouement pour les acides gras poly-insaturés en vue d’abaisser le taux de cholestérol sanguin : les principales sources utilisées dans la chaîne alimentaire sont riches en oméga 6 et pauvres en oméga-3. Ainsi, les aliments de nos assiettes sont aujourd’hui plus pauvres en oméga 3 que les aliments « sauvages » de nos ancêtres…
Une goutte d’eau dans la mer
L’acide linoléique (oméga 6 ; LA) et l’acide alpha-linolénique (oméga 3 ; ALA) sont les deux acides gras essentiels dont l’organisme a besoin quotidiennement. Ces acides gras sont métabolisés par élongation et désaturation en acides gras à longue chaîne (20 carbones ou plus). Des études démontrent que la conversion de l’ALA en acide éicosapentaénoïque (EPA) et, surtout, en acide docosahexaénoïque (DHA) est minime : pour un rapport oméga 6/oméga 3 optimal (4 : 1), 11 g d’ALA donnent, par exemple, seulement 1 g de EPA (2). Ces deux acides gras oméga 3 gagnent donc eux aussi à être présents dans l’alimentation. Les poissons gras des mers froides (saumon, thon, hareng, maquereau, esprot, etc.) constituent le vivier naturel de l’EPA et du DHA. Malheureusement, d’après le Prof. Kornitzer (ULB), le Belge est un petit mangeur de poisson, environ 10 kg/an/habitant (contre 100 kg de viande en 1995 (3)), et lorsqu’il en mange, il préfère généralement le cabillaud, la dorade ou la plie, des poissons maigres, pratiquement dépourvus d’oméga 3. En comparaison des Portugais, nous mangeons annuellement 6 fois moins de poisson, et la consommation a pourtant augmenté de 13 % entre 1991 et 1998 (4)…
Des exemples à suivre…
Certaines populations du globe ont une longévité légendaire. L’histoire alimentaire des Esquimaux Inuit, des Crétois et des Japonais a déjà été ressassée longuement par la littérature. Ainsi, les maladies cardiovasculaires (MCV) sont beaucoup moins fréquentes chez les Crétois. Ceux-ci mangent beaucoup de légumineuses, de légumes verts, de poissons gras et d’escargots, riches en oméga 3. Au pays du Soleil Levant, en particulier sur l’île de Kohama (1), le taux de mortalité est le plus bas du monde. La faible prévalence des MCV est également associée à la présence d’ALA en grandes quantités dans l’alimentation des habitants de l’Archipel, car huile de colza, soja et poissons figurent régulièrement au menu. Les crises cardiaques sont aussi chose rare chez les Esquimaux Inuit de Nunavik. Chassant les poissons et les phoques de la banquise, ils ingèrent quotidiennement de grandes quantités d’EPA et de DHA. Une étude récente (5) a montré chez 426 Inuits que ce comportement alimentaire sain est bénéfique pour certains facteurs de risque cardiovasculaire, à savoir le HDL-cholestérol et les triglycérides.
Ces populations, pourtant si éloignées l’une de l’autre, ont un point commun : un rapport oméga6/oméga 3 proche de l’équilibre. Ce n’est donc pas un hasard si actuellement on considère ce ratio comme un déterminant majeur du risque des MCV (6).
La nature a aussi ses dangers
Un bel exemple du suivi scientifique continu des édulcorants de synthèse est le cas de l’aspartame. Il s’agit sans nul doute du produit sucrant sur le dos duquel on a cassé le plus de sucre. Tantôt accusé de porter atteinte à la santé de la femme enceinte et de sa progéniture, d’exercer des effets cancérigènes, de provoquer des maux de tête, des troubles digestifs, … aucune étude à ce jour (plus de 200 et sur de larges échantillons) n’a pourtant apporté la preuve d’une éventuelle toxicité. La seule contre-indication majeure demeure toujours la phénylcétonurie (1 cas sur 15000 en Europe).
Côté « naturel », le cas du stévioside est éloquent. Cet édulcorant très puissant, doté d’un arrière-goût de réglisse, provient d’une plante originaire d’Amérique du Sud : la Stevia rebaudiana Bertoni. Stable à la cuisson (ce qui n’est pas le cas de l’aspartame, même si ce « défaut » peut être corrigé dans les mélanges d’édulcorants), ce composé tout à fait naturel se décompose dans l’organisme en stéviol, qui s’avère mutagène chez le rat… Son approbation a donc été rejetée par le Comité Scientifique de l’Alimentation Humaine, en 2000. La FDA et le JECFA ont adopté les mêmes positions.
Des preuves scientifiques
Les acides gras essentiels ont aussi fait l’objet d’un intérêt certain de la part des scientifiques sur le plan cardiovasculaire. Cette dernière décennie, de nombreuses études d’intervention, tant primaires que secondaires, ont montré cependant que l’on faisait fausse route en encourageant une prise plus importante de LA en remplacement des acides gras saturés. Malgré la constatation d’un abaissement similaire du taux de cholestérol de 10 à 15 % dans ces travaux, il n’y avait que l’étude de Leren (7) qui démontrait un lien significatif entre la prise de LA et un infarctus du myocarde non fatal.
A l’inverse, toutes les études d’intervention qui ont examiné l’effet d’une consommation accrue d’acides gras oméga 3 ont établi une baisse significative de la mortalité totale, et non consécutive à une diminution du taux de cholestérol plasmatique. Le résultat le plus spectaculaire a été obtenu dans l’étude de Lyon (8), qui révélait, en prévention secondaire, une baisse du risque de récidive d’accident cardiaque atteignant 70 %, une protection confirmée quelques années plus tard en Italie par l’étude de Gissi (9).
Deux études publiées récemment (10,11), issues des cohortes de la Physician Health Professional Study et de la Nurse’s Health Study, vont toujours dans le même sens. Dans la première, les hommes situés dans le plus haut quartile pour la concentration plasmatique en oméga 3 avaient un risque de mort subite réduit de plus de 70 % par rapport aux individus du premier quartile. Dans l’étude des infirmières, on constate que plus la consommation de poisson est élevée, plus le risque de succomber à un infarctus du myocarde diminue. Cet effet « cardioprotecteur » s’observe déjà avec une ingestion hebdomadaire de produits de la mer (20 % de cas en moins) et culmine à plus de 30 % si cette bonne habitude devient presque journalière.
Pas encore de recommandations
Les mécanismes d’action des oméga 3 sont de mieux en mieux compris. Ils n’ont cependant pas de relation avec les facteurs de risque classiques tels que le cholestérol total et le LDL-cholestérol. Leurs effets (1) ciblent une diminution des triglycérides plasmatiques, une réduction des arythmies cardiaques, une inhibition des facteurs thrombotiques et de l’agrégabilité plaquettaire ou encore un effet anti-inflammatoire (12).
Malgré l’évidence de leurs effets bénéfiques pour le cœur, les oméga 3 ne font pas encore l’objet en Belgique de recommandations nutritionnelles. Cela ne saurait tarder, tant les prises de position sont attestées par des instances nationales ou internationales de plus en plus nombreuses, notamment en ce qui concerne l’optimalisation du rapport oméga 6/oméga 3. Le travail est cependant de longue haleine, car il faudra revoir en profondeur nos habitudes alimentaires…
Nicolas Rousseau
Diététicien Nutritionniste
Réf.
(1) Hulshof KF et al The TRANSFAIR Study 1999.. J Clin Nutr;53:143-157.
(2) Simopopoulos AP. Am J Clin Nutr 1999;70 (suppl): 560-9S.
(3) IEA – Evolution de l'économie agricole et horticole. 34ème rapport présenté par le Ministère des Classes Moyennes et de l'Agriculture (1996).
(4) 4ème Congrès de Nutrition et Santé. Session Poisson et santé. 30 novembre 2001.
(5) Dewailly E et al. Am J Clin Nutr 2001; 74:464-73
(6) Okuyama H et al. Journal of Health Science 2000;46(3):157-177
(7) The Oslo diet heart study. Leren P et al. Circulation 1970;42:935-42.
(8) De Lorgeril M. et al. Lancet 1994 ;343:1454-9
(9) Valagussa F et al. Lancet 1999 ;354:447-55
(10) Albert CM et al. N Engl J Med 2002 ;346 (15):113-8
(11) Hu FB et al. JAMA 2002; 287(14):1815-21
(12) Madsen et al. Am J Cardiology 2001;88:1139-1142 |