Par Nicolas Rousseau
" HEALTH & FOOD " numéro 52,
Mai 2002
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L'ostéoporose, qualifiée d’épidémie silencieuse, fait l’objet d’une préoccupation croissante dans nos sociétés vieillissantes. C’est en partie la rançon de l’augmentation de notre longévité, qui, l’espace des dernières années, s’est accrue de 30 ans. Mais la diminution de qualité de la vie qu’elle engendre justifie que l’on exploite toutes les pistes nutritionnelles pour prévenir cette affection.
L’ostéoporose en Europe
- 40 % des femmes et 13 % des hommes de plus de 50 ans ont un risque majeur de fragilité osseuse et sont victimes de fractures ostéoporotiques
- Plus d’1 million de patients touchés par l’ostéoporose sont traités chaque année dans la Communauté Européenne. Ils sont notamment victimes de :
420 000 fractures du col du fémur
400 000 fractures du poignet
- Le coût annuel des soins hospitaliers liés à l’ostéoporose et ses complications est de 3,5 milliards d’euros
- La fréquence de l’apparition de l’ostéoporose est d’environ :
10 % à 60 ans
20 % à 65 ans
40 % à 75 ans
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Le double visage des protéines
Le tandem calcium et vitamine D a déjà largement apporté la preuve de son utilité, tant au cours de la croissance de la masse osseuse que plus tard, pour freiner sa dégradation. La couverture des apports calciques reste d’actualité. Les protéines par contre occupent une place plus ambiguë. Elles sont cruciales pour l’acquisition du capital osseux ainsi que pour la conservation ultérieure d’une bonne masse osseuse. Comme l’explique le Prof. Jean-Philippe Bonjour (Hôpital Universitaire de Genève), elles agissent essentiellement en stimulant la formation des IGF-1.
« Des apports faibles en protéines sont extrêmement dangereux pour la santé de l’os », poursuit le spécialiste. Une étude récente a d’ailleurs montré que chez des personnes recevant des suppléments en calcium et vitamine D, l’évolution de la densité minérale osseuse (DMO) était associée à l’apport en protéines : la DMO totale a même affiché une augmentation chez celles dont l’alimentation comportait le plus de protéines.
Mais les protéines n’éprouvent pas pour autant une amitié sans bornes pour le squelette ; elles peuvent même contribuer à sa dégradation, en raison de leur effet sur l’équilibre acido-basique.
De l’os pour neutraliser l’acidité
Les protéines, en particulier celles issues du règne animal, riches en acides aminées soufrés (méthionine, cystéine), représentent les principales sources d’acides (sulfates et phosphates). Pour réguler le pH sanguin, les reins vont tenter d’éliminer cette charge acide représentée par des ions H+. L’acidification des urines entraîne une élévation de l’excrétion urinaire d’ions ammonium et de calcium. Cette perte urinaire de calcium s’effectue notamment au détriment de l’os, où la résorption osseuse sera augmentée. La situation ne fait que s’aggraver avec l’âge, car la capacité rénale à excréter les ions acides se réduit au cours du vieillissement.
A l’inverse, les fruits, les légumes et les légumineuses, riches en citrates de potassium, exercent un effet alcalinisant. C’est ce qui explique que les urines des végétariens sont alcalines et pauvres en calcium.
Pour le Prof. Susan New (Université de Surrey, Royaume-Uni), l’effet alcalinisant des fruits et des légumes constitue une des grandes révélations dans les rapports entre la nutrition et la santé de l’os. Cette spécialiste a présenté plusieurs études rapportant un effet bénéfique des fruits et des légumes sur la masse osseuse axiale et périphérique et sur le métabolisme osseux dans toutes les tranches d’âge. Et qui plus est, elle pense que si les études de supplémentation menées avec du citrate malate de calcium donnent de si bons résultats, ce n’est probablement pas seulement en raison du calcium mais ausi grâce à l’effet alcalinisant du citrate et du malate.
Les plantes ont encore leurs secrets
Les végétaux contiennent encore des composés, qui ne sont pas encore identifiés, capables d’agir sur le métabolisme osseux. C’est en tout cas ce que montrent les travaux du Prof. Roman Muhlbauer (Université de Bern, Suisse), qui est parti du constat que l’ajout d’un gramme d’oignon à des rats entraînait un accroissement du contenu minéral osseux de 17 % après 4 semaines. Ses travaux ont montré pour la première fois qu’une série de végétaux agissait en réduisant la résorption osseuse, indépendamment du calcium et même de l’équilibre acido-basique (après administration de citrate de potassium). L’effet s’observe aussi avec des extraits débarrassés de leurs flavonoïdes. L’ail, le persil, l’aneth et l’oignon s’avèrent particulièrement efficaces, de même que le céleri et la banane, alors que la carotte, la poire et le soja n’ont pas d’effet. Il a montré que l’effet mesuré pour les végétaux consommés séparément est additif, ce qui est tant mieux pour la diversité. Il poursuit actuellement ses travaux sur différents végétaux, en essayant d’identifier le ou les composés responsables. A suivre…
N.G. |
Des molécules bio-actives
Une autre piste relativement neuve concerne des substances phytochimiques de la famille des polyphénols, qui comporte plus de 4000 composés. Ces molécules bio-actives peuvent influencer la santé de l’os par plusieurs mécanismes, présentés par le Dr Véronique Coxam (INRA Theix). Le premier concerne l’activité oestrogénique, certes faible mais bel et bien présente, de certaines isoflavones (retrouvées principalement dans la fève de soja) et des lignanes (présentes dans les graines de lin, les céréales, les fruits et les légumes).
Le second concerne l’activité antioxydante et anti-inflammatoire de certains composés, dont des flavonoïdes tels que la quercétine. Ces propriétés sont d’autant plus intéressantes lorsque l’on sait que la ménopause est associée à des conditions de stress oxydatif et à un climat évoquant certains aspects de l’inflammation chronique, comme en témoigne l’augmentation des taux circulants de cytokines telles que ILA, IL6 ou encore du TNF (Tumor Necrosis Factor). « Des données récentes », poursuit V. Coxam, « suggèrent que les antioxydants de l’alimentation peuvent atténuer l’activité ostéoclastique et même favoriser la formation osseuse ». Son équipe a montré que chez la rate, la quercétine (retrouvée surtout dans la peau de la pomme, l’oignon et le thé) inhibe la perte osseuse trabéculaire induite par ovariectomie et améliore les propriétés biomécaniques de l’os.
Enfin, la vitamine K, retrouvée surtout dans les végétaux à feuilles (choux, laitues…) apporte aussi sa contribution à la santé osseuse. Elle intervient dans la carboxylation de l’ostéocalcine, une protéine majeure du tissu osseux impliquée dans la régulation de sa minéralisation.
Voilà donc autant de pistes qui montrent que les fruits et les légumes ont plus d’un tour dans leur panier et qu’ils constituent des acteurs à part entière d’une alimentation préventive, y compris vis-à-vis de l’ostéoporose.
Nicolas Rousseau
Diététicien Nutritionniste
(1) Osteoporosis Prevention ; European meeting, Agence pour la Recherche et l'Information des Fruits et Légumes frais, Bruxelles, 24 avril 2002.
(2) Dawson-Hughes B and Harris S S. Am J Clin Nutr 2002;75:773-9.
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